Márta MÉSZARÓS
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Neuf mois (Kilenc hónap) Hongr. 1976 88' ; R. M. Mészarós ; Sc. Gyula Hernádi, Ildikó Kórody, Márta Mészarós ; Ph. János Kende (Eastmancolor) ; Mont. Eva Kármentõ ; Déc. Tamás Banovich, Ferenc Schöffer ; M. György Kovács ; Cost. Judith Schäffer ; Prod. Hungarofilm/Hunnia Filmstúdió ; Int. Juli Kovács (Lili Monori), János Bognár (Jan Nowicki), István Hagnóczi (Djoko Rozic), la mère de Julie (Katalin Berek).
Embauchée comme ouvrière dans une briqueterie, Julie, mère du petit Pisti, 5 ans, avec le père duquel, un professeur d'université marié, elle entretient de bonnes relations, a une liaison amoureuse avec János, le contremaître, dont elle tombe enceinte. Leur amour est sincère et profond, mais elle ne tient pas comme lui au mariage. Lequel assujettit la femme, d'autant que János - qui avait déjà les alliances au premier rendez-vous à l'Acier Bleu - se révèle bientôt jaloux et tyrannique, acceptant tant bien que mal Pisti dont il découvre l'existence. Puis il exige qu'elle démissionne pour rester au foyer, et qu'elle lâche ses études d'agronomie par correspondance, ce qu'elle exclut résolument. Elle réussit du reste brillamment aux examens.
Quand elle s'avoue enfin mère célibataire d'un garçon devant la famille, on la renie en la traitant de pute intéressée. János réagit de façon ambiguë en désavouant sa famille tout en chassant Julie, dont il exige l'avortement. Il ne peut tolérer sa liberté de femme, qui lui semble un comportement aberrant, donnant même raison à sa mère. Ce qui ne l'empêche pas de tenter de la retrouver, en vain, quand elle disparaît de sa vie, recrutée dans la recherche agronomique. Victoire douloureuse, couronnée par la naissance de l'enfant, de l'autonomie d'une femme en butte à la société patriarcale, dont les femmes sont complices (dans la salle d'attente de la maternité, une femme enceinte déclare qu'avec son mari ils veulent un garçon. "Oui en général on préfère un garçon réplique sa voisine"). Ce qu'ainsi résuma Julie : "Tu trouveras une autre dans ta maison, une autre qui ne voudra pas travailler et qui n'aura des enfants que de toi. Une esclave ! Ta mère en choisira une pour toi."
Le premier intérêt tient au paradoxe du cri de révolte dans un récit méthodiquement médité. Point de manichéisme. Censé être plus évolué, István représente une fausse sécurité, propre à anesthésier toute émancipation de la femme. Julie accepte l'amitié mais se garde de l'amour visiblement intact pour elle de l'homme marié. János n'est pas vraiment un rustre. Sa conduite tranchée est dictée par un caractère entier se traduisant dans la parole acerbe et le sérieux du visage avec un fond léger de tristesse dans les yeux ("vous ne riez jamais ?" demande Julie au premier rendez-vous). Il offre à Julie une autre forme de sécurité apparente, celle de l'absolu ("Je t'attends depuis dix ans.") en différant le sexe au profit d'une construction durable. Mais tout cela sous surveillance du vieux monde qui lui tient à la peau. Julie s'en montre consciente dans un sarcasme : "Ta maison, tes meubles, et quand on pourra acheter une bagnole !"
Deux hommes de pouvoir donc. Ce n'est pas un hasard si, au restaurant universitaire, un étudiant hors-champ s'adresse à István en l'appelant "Monsieur le professeur", au moment où Julie confie audit qu'elle aime un ingénieur et contremaître, genre d'événement anodin soulignant une troublante coïncidence.
Sous son visage enfantin à taches de rousseur, Julie est exempte de la docilité rêvée par János. "Ton rêve ne marche pas" lui dit-elle. Loin de s'émouvoir de l'attitude agressivement sexuelle d'un homme qui se trouvait dans la maison en construction de János en l'absence de celui-ci, elle répond laconiquement, avec ironie, "on va trouver un autre moyen" avant de le laisser planté là. Elle n'est pas sujette à la frayeur liée à la soumission. Son comportement sexuel est à l'opposé de l'ordre conjugal. Son corps s'offre hardiment à son compagnon plutôt que de se laisser capturer. L'apparence juvénile fait ici merveille de rendre compte d'une spontanéité quasiment présociale : inaccessible à l'emprise du pouvoir.
Le choix et la direction des acteurs principaux, Lili Monori et Jan Nowicki, est remarquable à tous ces égards. Mais nous n'en sommes encore qu'au niveau de la scénarisation qui, de plus, repose sur un naturalisme allant jusqu'à donner à voir l'authentique accouchement de l'actrice. Scénarisation de plateau à caution extrafilmique, verticale. L'outil privilégié en est le plan-séquence. Plan naturaliste quand il se confond avec la perception pratique d'un personnage en mouvement, pliant le cadre à l'ordre anthropomorphique. Ou encore, le plan spectacle, qui s'éternise pour intensifier le caractère émotionnel d'une situation. La parturiente souffre sous nos yeux durant deux bonnes minutes de bobine. C'est alors le spectateur qui est la caution extrafilmique comme étant invité à l'empathie envers la souffrance de l'actrice. Le jeu de celle-ci a beau être remarquable de vérité. Vérité nécessairement jouée, quelle que soit la performance à cet égard dans l'imitation de la passion des corps. Davantage, le spectateur est un client bénéficiant du service après-vente quand il est gratifié de signaux musicaux surindicatifs dans les moments élégiaques ou sentimentaux. C'est une mélodie sentimentale à la guitare tendre qui commente le premier regard en gros-plan échangé en champ/contrechamp par les protagonistes. János ne peut prendre la main de Julie, les amoureux ne peuvent échanger un baiser sans qu'un orchestre embusqué en confisque la valeur émotionnelle possiblement obtenue avec des moyens vraiment filmiques. L'hymne prend le pas sur la chose célébrée.
Heureusement ce ne sont que résidus académiques ou concessions commerciales dans un ensemble plus subtile. C'est surtout par toute sorte de ponctuations sonores intradiégétiques que l'action prend du relief. Ce d'autant que la source en est rejetée hors-champ et qu'elle n'a de rapport avec l'événement que fortuit. Que ce soit un avertisseur électrique, une sirène, le fracas des machines, certaines percussions métalliques quelconques non identifiées, un passage de train, ou encore des aboiements voire croassements, etc. Rapports horizontaux donc, en un jeu non-dogmatique de relever d'échanges intradiégétiques non finalisés. Quand Julie au début est sur le point de tomber par hasard sur János débouchant de la cave de sa maison en construction, la sirène du train retentit au loin. De la même façon, des événements adventices visuels dramatisent la situation sans nulle surcharge indicatoire. La séquence de la bagarre, en décor extérieur d'usine, de János avec l'ouvrier qui a traité de pute Julie - soupçonnée de favoritisme - est magnifiquement amplifiée par l'agencement des actions et sons alentour, principalement des mouvements ferroviaires accompagnés de tintements métalliques obsédants. Car le cinéma n'est pas la littérature. Il ne saurait être à l'image d'une succession de mots reliés entre eux par des marqueurs logiques. Bien au contraire, c'est un décadrage, alors qu'il se déplace pour les rejoindre sur le canapé, qui fait comprendre que János se sent exclu du fait de la proximité entre Pisti et sa mère. Et l'intimité amoureuse du futur foyer se décline mieux par cet amas d'épis de maïs sur le parquet de la maison en construction, et dont on croit sentir monter l'odeur familière, que par une étreinte accompagnée à la guitare. De même que la grossesse de Julie n'a pas attendu la salle d'attente de la clinique, comme on le croit, pour se déclarer. L'idée la préoccupe, à moins que ce soit déjà fait, quand recherchant un János introuvable, à 26' environ, son regard est attiré à l'Acier Bleu par une femme enceinte attablée (en champ/contrechamp), façon de dramatiser l'absence du père ou futur père désiré. Puis se tenant de profil, aux deux-tiers du film, elle affiche comme par hasard une légère proéminence caractéristique.
Tout élément visuel ou sonore est donc susceptible d'entrer dans des rapports autres que ceux dictés par la chronologie et la coprésence dans le cadre d'une résolution linéaire, fonctionnelle du sens. Ainsi, au-delà de sa fonction de décor réaliste approprié à l'intrigue, opposée à l'unité de recherche agronomique qui engage Julie, l'usine apparaît comme située au cœur de la vie sociale de la société patriarcale. Les deux cafés de la ville indiqués par János, hauts lieux de la vie sociale, s'intitulent L'Acier Bleu et Le Fondeur. János ne connaît que l'Acier Bleu pour les rendez-vous. Des plans généraux de l'usine, vue du domicile des parents de János, de l'atelier de la couturière ou de la salle d'attente de la clinique, encombrent le champ visuel de Julie (champ/contrechamp). Sur le pont enjambant l'usine, le couple est enveloppé de la fumée qui en émane, et Julie, comme si elle suffoquait, se dégage de l'étreinte. Au début, elle propose à János plutôt une promenade dans la nature, sur la colline, d'où l'usine est vue "de haut", à distance et rapetissée.
L'usine s'oppose à la station agronomique comme l'ignorance au savoir émancipateur. La tâche consistant à porter d'un endroit à un autre de l'usine des segments de tuyau massif fraîchement tronçonnés est emblématique. En revanche c'est en experte que Julie prend connaissance de la station de préculture et d'irrigation expérimentale. Sutout, celle-ci évoque métaphoriquement la gestation qu'elle doit mener à bien avec ses propres forces, fût-ce au prix de la douleur du renoncement à l'amour, qu'elle exprime dans la même séquence.
En bref, bien que tentée de convaincre d'une juste cause féminine par l'imitation et les procédés de surenchère, l'auteure sait très bien au besoin jouer des ressources de l'artifice, seules aptes à déclencher un véritable questionnement. 21/11/24 Retour titres Sommaire