CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Ernst LUBITSCH
Liste auteurs

La Huitième femme de Barbe-Bleue (Bluebird's Eighth Wife) USA 1938 80'  ; R. E. Lubitsch ; Sc. Charles Brackett, Billy Wilder ; Ph. Leo Tover ; Mont. William Shea ; M. Frederick Hollander, Werner Heymann, d'apr. la Pièce d'Alfred Savoir ; Pr. Paramount ; Int. Claudette Colbert (Nicole de Loiselle), Gary Cooper (Michael Brandon), Edward Everett Horton (marquis de Loiselle), David Niven (Albert de Regnier).

   Dans un magasin de confection chic de la Côte d'Azur, une jeune femme
arrive à point nommé pour partager avec un vacancier américain la dépense d'un pyjama dont il refuse, n'en ayant l'usage, de payer le bas. On apprend que la co-acheteuse n'a ni frère ni mari, ce qui, en l'occurrence, laisse (à l'époque) peser un doute sur sa moralité. Il se trouve qu'il s'agit de Nicole de Loiselle, la fille du marquis de Loiselle, aristocrate ruiné qui espérait se renflouer en proposant par lettre une affaire foireuse au milliardaire Michael Brandon. Lequel n'est autre que l'homme au demi-pyjama. Ce dernier loue dans un grand hôtel une suite, comme par hasard occupée par le marquis, lequel refuse de quitter la place dont il n'est plus en mesure de couvrir le loyer depuis deux mois. Le patricien apparaît à Brandon en pyjama dépareillé dont le bas constitue l'autre moitié du sien propre, acquise, apprend-il, pour des raisons d'économie, par sa propre fille. En bon homme d'affaires, donnant gage au père par un chèque pour une baignoire supposée avoir appartenu à Louis XIV, le propriétaire du haut, s'est déjà appliqué le titre d'époux futur de la belle inconnue révélée fille de celui du bas. Ce à quoi l'intéressée découvrant en lui un champion de la finance du cœur répond en des termes d'une ironie acide. Elle prétend restituer le chèque tandis que, taxée de bassine, la baignoire est renvoyée. Tout semble pouvoir s'arranger quand est invitée à dîner la réfractaire qui, au milieu d'un tête-à-tête débordant d'ironies, s'avoue enfin follement amoureuse. D'où mariage en vue, remis en question quand apparaît que le prodigue pourvoyeur de pensions a été marié sept fois, puis cyniquement accordé au prix d'une dote exhorbitante au profit de la mariée. "Je suis fou de vous, marché conclu" répond le futur. "Cette fois il a acheté la bassine" (trope !) confiera la jeune mariée à son ami, Albert de Regnier, autre aristocrate déchu occupant un poste obscur dans une banque Brandon, et présent au départ du train de la lune de miel. Le mariage est un fiasco. Vie commune certes, mais Michael n'a jamais vu le boudoir de Nicole (autre trope !) et ses tentatives de captation sexuelle au champagne sont mises en échec. Cependant la gréviste de boudoir pimente le jeu en adressant à l'abstinent corrélatif des lettres anonymes dénonçant son propre adultaire. Ayant en outre éventé la filature consécutive, elle suborne le détective, qui lui fournit un faux-amant boxeur, d'où le scrupule qui lui fait murmurer "Je t'aime Michael, mais c'est pour ton bien." Cependant c'est l'ami Albert, débarqué impromptu, qui essuie le direct destiné au mari censé la surprendre, et sera lui-même, par le truchement d'une nouvelle mise en scène de Nicole, le partenaire du faux adultaire confondu par l'époux. En conséquence du divorce qui s'ensuit, celui-ci se retrouve pour dépression dans une clinique que le marquis enrichi par le divorce de sa fille rachète. Nicole peut ainsi amadouer l'homme blessé et vindicatif, moyennant la camisole de force, dont il parvient à se libérer pour l'étreinte consentie.


  Ce synopsis s'applique à rendre compte des qualités incontestables d'un scénario riche en situations cocasses, péripéties et rebondissements, parfaite matière de Screwball Comedy et dont le moindre des atouts n'est pas l'érotisme. Érotisme qui commence par l'évocation de la demi-nudité inférieure de l'homme dont la femme à la moralité indécise supposée se trouve indirectement complice, puis procède d'un jeu de masques, de substituts, de coups bas et d'esquives mettant à mal avec la bienséance conjugale les afféteries de la fusion affective plan-plan. C'est l'altérité qui en sort victorieuse, et avec elle, les conditions de l'impossible rencontre amoureuse menant au paroxysme de la conjonction orbitale.

   Mais ce qui doit nous intéresser ici, c'est si cette pièce de théâtre mise en scène pour l'écran par un ancien élève de Max Reinhardt a pu trouver la voie cinématographique. Or, il ne faudrait pas, comme au théâtre, où l'on suit en direct l'évolution des personnages, leur trajet physique et leur rapport à l'intrigue, il ne faudrait pas qu'il en soit de même à l'écran où il s'agit d'images, non de personnages, mais en rapport avec des personnages, la condition de chacune étant en outre d'être en rapport avec d'autres d'images. Ne pas confondre espace scénique et distribution scénaristique de la pellicule. Or ici, pour ne pas manquer le dialogue, les mouvements de caméra s'attachent aux pas des personnages, qu'elle ne lâche que pour les voir franchir une porte, puis les rattrape quand ils rentrent par une autre porte. Mais le hors-champ n'a nullement besoin de porte. Franchir le cadre suffit. Hors-champ n'est pas non plus coulisse même s'il a pu l'être au tout début du cinéma. Et l'intrigue filmique n'est pas davantage une illustration du dialogue. En bref, le filmage peut se mettre au service des acteurs et des dialogues parce qu'ils sont l'un et l'autre excellents. Mais ce devrait être l'inverse. Bon divertissement donc, sans rien apporter à la cause du cinéma. 15/01/23 Retour titre