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Tomu UCHIDA
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Meurtre à Yoshiwara (Yoto monogatari : Hana no Yoshiwara Ryaku-nin giri) Jap VO couleur 1960 109' ; R. T. Uchida ; Sc. Yoshikata Yoda ; Ph. Sadaji Yoshida ; Mont. Shintaro Miyamoto ; Déc. Yatatoshi Suzuki ; M. Toshio Nakamura ; Pr. Toei ; Int. Chiezo Kataoka (Jirozaemon), Yoeko Mizutani (Tamatsuru), Eijir-Kataoka (Juroko, le commis), Akiko Santo (Osaki), Ko Kimura (Eiji, l'ancien souteneur).

  Abandonné nourrisson avec un sabre précieux censé monnayer son éducation, et affligé d'une repoussante tache de naissance en plein visage, le riche fabriquant de soieries Jirozaemon ne trouve point d'épouse.
  Sa haute réputation d'homme intègre et généreux attirant la compassion, de vaines rencontres sont organisées par Echigoya, riche client qui, de guerre lasse, propose une visite à Yoshiwara, quartier des plaisirs d'Edo. Tamatsuru, la seule pensionnaire de la maison de Geishas ne témoignant pas de dégoût pour la tache/tâche, est une ancienne taularde, prostituée de bas étage, en butte à toute sorte d'humiliations, qui aspire à la revanche en accédant au statut d'Oirian (courtisane de haut rang).
  Profondément épris de celle qui lui jure même le mariage, l'amant désormais bénéficiaire d'un dispendieux contrat d'exclusivité, s'engage à l'y aider. Hoyogoya, le tenancier, et sa concubine entendent, quitte à graisser la patte du jury de l'épreuve de courtisanerie suprême, tirer profit de la situation, pour plumer toujours davantage ce client, qui s'est naïvement montré disposé à toute prodigalité. Bientôt au bord de la ruine à la suite en outre de la destruction par la grêle des muriers nourriciers des vers à soie, suivie de divers déboires financiers, il obtient un emprunt d'Echigoya pour renflouer sa fabrique, en promettant de renoncer à sa folie. Ce qui ne suffit pas à écarter la débâcle. La seule chance de l'amoureux transi aux abois, incapable de renoncer à son rêve ruineux, est de faire différer le coûteux défilé de première courtisane de Tamatsuru, qui entretemps a passé les difficiles épreuves, moyennant la corruption du jury. Après moult fins de non-recevoir, Hoyogoya accepte sous la condition de nouveaux frais somptuaires, mais la future Oirian déclare préférer confier son bonheur à n'importe quel homme fortuné pour accéder au plus vite au rang prestigieux qui la vengera du mépris où elle fut tenue. "Plus d'argent, plus d'amour" conclut-elle cyniquement, formule reprise avec délectation par Hoyogoya, qui ajoute : "Vous n'êtes plus mon client. Descendez de mon coussin."
  En quittant la maison des plaisirs sous les sarcasmes du personnel, Jiro tombe sur son commis Juroka, auquel était confié la vente du sabre pour renflouer les caisses. Il est invendable en raison d'une réputation légendaire de maléfice. Pis, Jiro n'ayant pas tenu sa promesse, Echigoya surgissant se rétracte et annule le prêt. Rentré au domicile hors de lui, Jiro s'enferme avec son sabre. Il en ressort énigmatiquement apaisé pour sacrer, en tant que patron, le mariage de Juroka et de la tisseuse de ses ateliers Osaki qui, par considération, ne devaient s'unir qu'une fois le patron lui-même marié. Le jour du défilé triomphant de la nouvelle Oirian à Yoshiwara, il fait irruption, sabre brandi taillant, à commencer par Hoyogoya, dans la masse humaine qui s'interpose autour de la récipendaire. Grièvement touchée, celle-ci se traîne jusqu'à la porte monumentale du quartier des plaisirs, qu'on vient de fermer pour contenir le forcené, sur laquelle, plaquée, elle est lardée de coups. "Maintenant tu es ma femme !"


  Solide scénario, repris dit-on du Kabuki, et dont les ressorts mélodramatiques relèvent de la compassion pour une figure de vertu qui, auréolée du malheur de sa disgrâce physique, est insultée dans sa quête désespérée du bonheur amoureux. Compassion récompensée proportionnellement aux dommages, d'une sanguinaire et héroïque vengeance, culminant dans le mot terrible de la fin : "Maintenant tu es ma femme !" Injustice destinale autant que sociale donc, réparée au nom du Talion.
  D'emblée s'afficheraient donc les limites du propos, auquel on ne pourrait qu'opiner à prendre fait et cause pour un personnage fictif incarné par un "époustouflant" Chieso Kataoka situé au centre de la toile. Surtout que la cause est à prendre à la lettre. Or, là réside la deuxième limite, celle du film comme film, qui pose en absolu des valeurs morales assez primaires, en réduisant la filmicité à un dispositif à leur dévotion. Car totalement dépourvu d'angle critique, fût-ce sous forme de dérision, les quelques libertés prises ne faisant qu'exalter les présupposés idéologiques du drame, comme le décor de cerisiers en fleurs sous la neige du flamboyant carnage final, à l'honneur dans le titre même, si prometteur, du film : Ryaku-nin Giri, "tuer cent personnes" (je fais confiance au traducteur).
  Il y a dramaturgie de divertissement, c'est-à-dire, conçue pour flatter les basses tendances gisant au fin fond des consciences les plus évoluées. Qu'on ait cru bon d'y adjoindre des agréments auxiliaires est symptomatique de la pauvreté de ses assises thématiques. Le film est ponctué d'inserts distrayants dûment motivés par le récit, mais dont l'insistance relève de la complaisance : feux d'artifice, spectacles sur l'eau, pantomimes de la maison des Geishas, gestes, musique et danses des épreuves de la courtisane. Tribut rendu au spectaculaire, qui se traduit déjà dans le jeu criard de la palette des couleurs, et dans les cadrages emphatiques par plongée distante ; car le mouvement de caméra supplante le montage, ce qui présentifie un plateau intrusif, quand la juxtaposition de montage sollicite directement un spectateur pleinement partenaire. Sans parler de la musique d'accompagnement qui n'est rien d'autre, pour autant qu'elle ne s'inscrit pas dans un jeu avec la diégèse, que surenchère sentimentale ou dramaturgique. Fallait-il vraiment, par exemple, que des accords tragiques anticipent sur le contenu de la lettre annonçant à Jiro la catastrophe des muriers ? Le simple fait du cadre, de la durée du plan, de son rythme, de la lumière pouvait être mis à profit dans le traitement du geste de la main déroulant le message.
  Quoi qu'il en soit, dès lors que c'est annoncé, ce n'est plus un événement, mais un moment déterminé dans un programme. Il n'y a presque plus rien à découvrir. On a bien compris que la situation n'allait cesser de se dégrader. Il suffit alors de se reporter à l'étendue du malheur initial d'un homme plein de bonté, malheur exacerbé par le cynisme de ses exploiteurs, pour compléter par le nécessaire retournement de la vengeance. C'est même à un adversaire redoutable qu'a affaire le souffre-douleur favori du destin. L'épisode, dans la boue nocturne des faubourgs, de l'assassinat par les sbires de Hoyogoya d'Eiji le souteneur, comme préjudice aux bénéfices de la maison des plaisirs l'indique. D'autant que le triomphe de l'homme bon humilié s'oppose à l'échec téléguidé de la vengeance de la courtisane en tant que mauvaise.
  Il faut reconnaître néanmoins le soin mis dans la reconstitution de la vie d'une maison de Geishas : indispensable contribution à la crédibilité de la fiction, contrastant avec les instruments déjà dénoncés de la surenchère qui la ruine. Ce qui, joint aux qualités du scénario lui-même, suffit déjà à remplir déjà les conditions d'un bon spectacle. Ce qu'on ne peut guère dire en général de la grande production cinématographique aujourd'hui. 25/07/25
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