CINÉMATOGRAPHE 

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Roberto ROSSELLINI
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Rome, ville ouverte (Roma, città aperta) It. VO N&B 1945 100' ; R. R. Rossellini ; Sc. Sergio Amidei, Frederico Fellini, R. Rossellini, d'après Sergio Amidei et Alberto Consiglio ; Ph. Ubaldo Arata ; M. Renzo Rossellini ; Pr. Excelsa Film ; Int. Anna Magnani (Pina), Aldo Frabrizi (don Pietro Pellegrini), Marcello Pagliero (Giorgio Manfredi), Francesco Grandjaquet (Francesco) ; Palme d'or à Cannes en 1948. 

   À Rome,  occupée et déclarée "ville ouverte" (sans défense militaire)
à l'hiver 1944, des résistants sont traqués par la Gestapo. L'ingénieur communiste Manfredi se réfugie chez l'imprimeur Francesco avec la complicité du prêtre don Pietro. Mais la maison est encerclée par les Fascistes et les Nazis. Les deux laïques sont arrêtés puis Pina, la fiancée de Francesco, faisant obstacle est abattue la veille de son mariage, sous les yeux de son fils, du prêtre et de son fiancé dont elle est enceinte. Les prisonniers s'évadent mais don Pietro et Manfredi sont pris sur dénonciation de Marina, la maîtresse de ce dernier. Manfredi est torturé à mort et le prêtre fusillé sous les yeux des enfants du catéchisme sifflant un air patriotique. 

   Très peu éclairés, les décors sont naturels et même documentaires par la proximité dans le temps du contexte de référence. La sobriété convient au néoréalisme contrairement au réalisme.
   Les signaux au spectateur pourtant se multiplient, à commencer par la caractérisation des méchants. Le chef de la Gestapo et sa complice Ingrid ont une allure équivoque et des traits légèrement outrés par le maquillage, le visage d'Ingrid, particulièrement étrange, est tout en accolades dans une configuration d'ensemble dure. Et l'éclairage est plus étudié qu'il n'y paraît de prime abord. L'escalier d'immeuble visité par les fascistes est animé d'effets de lumière et d'ombres portées dramatisants. Certains Nazis sont ainsi rendus inquiétants par déréalisation. Pendant la torture, découvert par un panoramique (effet dramatique), un grand tortionnaire est cadré en plan moyen face caméra, le visage éclairé vivement par derrière, mais en lumière mate, étale, sur la face ainsi rendue peu distincte. Un bandeau d'ombre au niveau des yeux met à Ingrid un masque léger accusant la géométrie des traits. La composition de l'image y interfère. Avouant à son amant avoir couché pour de l'argent, Marina dévoile des cuisses bien éclairées en ôtant ses bas. Puis un plan rapproché-épaules la détache en éclairage artificiel sur le fond rayonnant du montant de lit nimbant par antithèse sa tête lorsqu'elle prononce : "La vie est laide et sale. Je la connais trop bien, la misère…". Préfiguration ou simplement rappel, deux moutons sont massacrés au revolver sous les yeux des résistants. C'est tel un Christ, les bras en croix fixés au mur et torse nu, que Manfredi est stigmatisé. 

   Et pourtant, une des grandes forces tragiques du film est de ne pas exclure le burlesque. Le prêtre, personnage sérieux et tragique s'il en est, joue au foot avec ses catéchumènes. Dans un magasin d'objets d'art, il détourne les yeux d'une statue de saint d'un nu en vis-à-vis. Un vieux grabataire a l'air d'un vieux clown. Don Pietro l'assomme avec une poêle à frire pour faire croire au fasciste qu'il est au chevet d'un défunt.
   Enfin l'aspect socio-historique n'exclut pas le sentiment, représenté par les rapports de tendresse entre le petit orphelin et Francesco qui devait être son beau-père. Tout cela, hélas, noyé dans la "fosse" hyper symphonique de Renzo Rosselini, le frère cadet, redondance tonitruante dénaturant images et sons. Art et solidarité familiale sont incompatibles. Le renfort musical disparaît pourtant dans la superbe scène finale où l'exécution en plan d'ensemble du prêtre, entravé sur une chaise plantée au milieu du terrain comme s'il risquait de s'envoler, est doublé en point d'orgue par d'imperceptibles sonorités de tambour en sourdine. C'est bien en fait la poésie qui fait le véritable néoréalisme. 3/05/02
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