CINÉMATOGRAPHE 

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Aki KAURISMÄKI
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J'ai engagé un tueur (I Hired a Contract Killer) Finlande-Suède-GB-All. VO (angl.) 1990 80' ; R., Sc. A. Kaurismäki d'après Peter von Bagh ; Ph. Timo Salminen ; Int. Jean-Pierre Léaud, Margi Clarke (Margaret), Kenneth Colley (Harry, le tueur), Serge Reggiani (Vic (Galerie des Bobines)), Aki Kaurismäki (le marchand de lunettes noires).

   Exilé volontaire à Londres où il exerce depuis quinze ans le métier de bureaucrate consciencieux, le Français Henri Boulanger est licencié pour raisons "économiques". Il tente en vain de se suicider puis confie la besogne à un tueur sous contrat. Mais Margaret, la jolie marchande de fleurs le fait changer d'avis. Trop tard pour annuler, le commanditaire ayant disparu.
   Henri a beau s'installer chez sa bien-aimée, puis se réfugier avec elle dans un hôtel, le tueur retrouve toujours sa trace. Impliqué de plus dans un meurtre dont il est innocent, il est recherché par la police. En allant acheter des billets pour s'enfuir avec lui, Margaret apprend que son amant est innocenté. Le tueur survient entre-temps mais, cancéreux au dernier stade, il retourne l'arme contre lui et met fin à ses jours. Margaret et Henri sont enfin libres.

   Le cinéma dominant est un excellent propagandiste, en tant qu’il diffuse, fût-ce à son corps défendant, l’image optimiste d’un monde régi par la loi du profit, utile justement à sa propre valeur marchande. Kaurismäki en prend le contrepied systématique. À l’inévitable peinture de la vie moderne témoignant d’un niveau de vie réservé à une minorité de l’humanité, il préfère ce qui y est spontanément censuré. Délaissant l’intrigue type qui, détachée des vicissitudes qui sont le partage ordinaire du citoyen lambda, gomme les contradictions dues à la loi de plus en plus abstraite du marché, il opte pour une histoire concrètement enracinée dans la réalité du monde contemporain. 
À remarquer cependant qu’il n’y a nullement symétrie : alors que l’image racoleuse est faite pour occulter les aspects inavouables de la vérité tout entière, ceux-ci au contraire sont révélateurs du système qui les sous-tend.
   1990 : onzième et dernière année du mandat du premier ministre Margaret Thatcher. Quel rapport ? La Compagnie des eaux où travaillait Henri Boulanger, organisme d’État sous l’égide de Sa Gracieuse Majesté, n’est-elle pas passée à des intérêts privés ? Le redéploiement des "ressources humaines" consécutif ne suppose-t-il pas de remercier d’abord les étrangers conformément à l’esprit de durcissement nationaliste qui a donné lieu, notamment, à la guerre des Malouines ? La situation du protagoniste n’est donc pas seulement un argument de l’intrigue, prétexte au trouble destiné à tenir les spectateurs en haleine. Elle s’inspire au contraire d’une réalité caractérisant un type de société à une époque donnée : celle du thatchérisme.
   Et pourtant il ne s’agit pas d’un « film engagé », qui supposerait l’illustration d’une doctrine. Nul didactisme ici. Pas d’avantage de contre-propagande, qui consisterait à noircir le trait pour contrebalancer l’inconsistance du rêve inlassablement seriné à travers les films les mieux distribués.
   Le propos politique est en effet pris dans la trame d’une histoire d’amour sur fond d’intrigue noire, ceci sur un mode décalé, dédramatisant. Certes ce monde est sombre, les lieux déshérités et les décors délabrés, les visages ténébreux, mais tout cela en excès
léger, souligné par le cadrage qui semble s’inspirer de la verticalité urbaine dans ce qu’elle peut avoir d’inquiétant. D’où plongées et contre-plongées aiguës, sifflements de vents coulis en intérieur et palette tendant parfois au monochromatisme avec ses bleutés semi-nocturnes. Le plan fixe, plus fréquent qu'à l'ordinaire, la sobriété du montage sec, le ton égal des paroles et le refus du pathos physionomique concourent surtout au laconisme distanciateur d'une pure fiction. Si bien que l'aspect éthique se fond totalement dans la fable.
   Il y a bien dix ans, je notais à propos de ce film : "Personnages inquiétants et décors lugubres et moites : le réel est ici plus bizarre que le bizarre. Bizarre de second rayon donc".
   Jugement hâtif, totalement injuste. 9/09/09
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