CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Jacques BECKER
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Le Trou Fr. N&B 1959 115’ ; R. J. Becker ; Sc. J. Becker, José Giovanni, Jean Aurel, d’après J. Giovanni ; Dial. J. Becker, J. Giovanni ; Pr. Play Art/Filmsonor/Titanus ; Int. Michel Constantin (Géo (Galerie des Bobines)), Jean Keraudy (Roland), Philippe Leroy (Manu), Raymond Meunier (Monseigneur), Mark Michel (Gaspard), Eddy Rasimi (le gardien Bouboule), Jean-Paul Coquelin (le brigadier Grinval), André Bervil (le directeur), Catherine Spaak (Nicole).

   En raison d’un changement de cellule à la Santé, Claude Gaspard débarque au milieu de quatre détenus qui ne tardent pas à l’associer à leur projet d’évasion, consistant à percer sol et murs jusqu’aux égouts. Condamné pour tentative de meurtre sur plainte de sa femme, Gaspard explique que, menacé par elle d’un fusil de chasse il avait, en voulant la désarmer, fait partir le coup qui l'avait blessée. Au moment où ils sont sur le point de s’évader, Gaspard est convoqué chez le directeur, qui lui annonce que la plainte est retirée. Il trahit ses camarades. 

   Construire une histoire autour d’un trou, c’est-à-dire de rien, voilà l'idée. C’est ce qui fait tout l’intérêt du film, qui rompt avec la pratique la plus répandue, consistant à filmer des choses belles ou intéressantes a priori. Mieux vaut un matériau à transformer, fût-ce un vide, pour parer à l’ennui des recettes toutes préparées. L’image prend alors sens d’extérioriser un dessein au lieu de l’exposer. Un plan fixe sur une galerie obscure dans l’axe de la caméra, laissant s’éloigner les personnages porteurs d’une lanterne improvisée dont le halo s'amenuise, sert parfaitement un tel enjeu dont il tire sa richesse. De même que la lenteur de l’action qui consiste à rogner patiemment sol et murs se fait valeur positive, alors que l’un comme l’autre trait serait nuisible au film d’action classique.
   Le spectateur peut en effet se laisser fasciner par ce rythme d’escargot, lequel est fortement crédibilisé, par deux choses : l’amitié qui décuple la volonté de faire, et le savoir-faire, à la fois ingéniosité et habileté des corps. Grâce au gros plan, le détail technique affirme que l’ingéniosité n’ayant pas de limites, l’homme peut venir à bout de tous les obstacles. Il contribue donc à mettre le spectateur en confiance, à l’impliquer dans le désir d’aboutissement. L’outil pour entamer le ciment est une pièce du lit métallique. Il faut à chaque fois la remonter après utilisation, ce qui amène un gros plan des doigts replaçant les tiges filetées et serrant les écrous en un tournemain. Roland, l’organisateur de l’évasion sait tout faire. Avec une pièce de métal ramassée dans les sous-sols, il confectionne un passe-partout permettant de circuler dans les galeries souterraines de la Santé, ou bien, les montres étant proscrites, un sablier avec des flacons de verre chipés à l’infirmerie, etc. Précis, souples et silencieux, ces gestes habiles, industrieux, semblent générer le rythme fluide du récit, heureusement libre de tout accompagnement musical.
   La même aisance gestuelle traduit la force de la solidarité entre les quatre, qui se consultent pour toute décision sans piper mot, d'un sourcil relevé ou d'un pincement des lèvres. Le quarteron Roland, Manu, Geo et Monseigneur incarne avec sobriété des figures qui s'accordent remarquablement sur fond de différence. La différence tient aux physionomies typées sans être pittoresques, évoquant chacune un milieu populaire caractérisé. Les types se fondent ensemble cependant dans ce côté très physique dénotant un rapport intense à la matière. Contrairement à Gaspard qui, prisonnier des convenances, est coupé de la réalité concrète.
   L’intérêt dramatique vient de l’unité de cette perfection à la fois technique et affective, en tant qu’elle est menacée par le ver dans le fruit. Lequel en l’occurrence a toutes les apparences de celui à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession. Langage direct, traits nets et yeux limpides. Jusqu’au dernier moment crédible, à part certains troubles qui ne trouvent que rétrospectivement leur véritable portée : son attitude coupante avec sa jeune maîtresse au parloir, un zest de doute trop vite dissipé chez ses compagnons, un cadrage légèrement accusateur (lui en légère contre-plongée, les autres en légère plongée, etc.), un poil d’excès de « candidité », la boutade ambiguë de partir tout de suite en taxi lorsqu'il émerge des égouts avec Manu. 
   Le film met en outre beaucoup de soin à crédibiliser l’intrigue par la reconstitution du milieu carcéral : rapport avec les gardiens, réalité du voisinage, bruits divers, etc. Mais la prison offre un côté clean de studio qui jure avec ce que l’on peut savoir de l'univers carcéral. Il y manque surtout l’imagination filmique. Cadrage et montage sont essentiellement des moyens de présenter la diégèse. On pouvait s'attendre à ce que le hors champ concerne le trou au premier chef. Nullement. Il y a dichotomie entre intrigue et moyens filmiques. À l'exception de quelques petits coups de génie hélas isolés, comme l’éboulement qui coïncide avec le retournement du sablier, ou cette feuille morte amenée dans le champ par une bourrasque (de liberté) quand Gaspard et Manu émergent un bref instant au ras de la chaussée par une bouche d'égout .
   Donc toutes les apparences du chef-d’œuvre : remarquable travail, sans doute le meilleur film de Becker, mais qui ne soutient pas la comparaison avec celui de Bresson (Un condamné à mort s’est échappé) sorti seulement trois ans auparavant. Bien meilleur en tout cas que Touchez pas au grisbi, car, notamment, tout n'y gravite pas autour d'un seul bonhomme. 21/11/08
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