CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Amos KOLLEK
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Sue perdue dans Manhattan (Sue) USA VO 1997 90' ; R., Sc. A. Kollek ; Ph. Ed Talavera ; Son Theresa Radka ; M. Chico Freeman ; Pr. A. Kollek ; Int. Anna Thomson (Sue), Matthew Powers (Ben), Tahnee Welch (Lola).

   Il est vital pour Sue de parler aux autres, d'autant que son destin intérieur s'acharne à détruire tout contact. De même qu'elle guette au téléphone un mot de sa mère atteinte d'Alzheimer, sa compulsion à s'adresser au premier venu l'amène à des rencontres sexuelles de hasard qui apaisent ses besoins sans la construire. Des cadenas, bruits de serrures, barreaux ou inversement des allusions à la liberté (l'affiche : "8th avenue Independant Subway" marquant le rendez-vous amoureux) soulignent cet enfermement.
   Elle ne met pas toutes les chances de son côté dans la recherche d'un travail : sa marginalité est trop évidente (un employeur requérant une compétence en droit, lui reproche d'avoir fait de la psycho et de la danse moderne ; pour le baby-sitting. "ça m'intéresse, j'aimerais essayer", dit-elle comme si on pouvait mettre un bébé à l'essai). De même en amour. Son comportement n'invite pas Ben à lui dire les mots qui la sauveraient : "je t'aime". Le drame profond est la maladie de sa mère. Un moteur de voiture rugit furieusement quand elle en prononce le nom. C'est de cela qu'elle ne se remettra jamais, se refusant à tirer profit des mains qui lui sont tendues, celles de gens simples et marginaux, hommes laids, clochard, Noirs, prostituées, malfrats.
   La serveuse de bar Linda est prête à lui donner sur le champ mille deux-cents dollars qui la sauveraient de l'expulsion. Un lien profond s'établit avec le vieux Noir qui lui trouve une réponse aux mots croisés, lui offre une boisson aux fruits appelée "mystique" (contrechamp sur des arches, quelques mesures dissonantes d'accompagnement), qu'elle remercie en exhibant gratuitement ses seins. Au moment de leur première rencontre les cloches d'une église voisine sonnent et son regard se lève, elle enlève ses lunettes, mais le premier plan est occupé par une poubelle. À la deuxième il lui caresse simplement les cheveux. Inversement, à l'exception de son amant Ben, personnage il est vrai assez marginal pour lui avoir signalé, avant de la connaître, qu'elle avait laissé tomber un billet de banque. La classe moyenne en revanche ne fait pas de cadeaux : une femme au bar se commande un café dès que le serveur refuse d'en servir un à Sue.

   La distance dans les tête-à-tête (avec son bailleur, elle étant dos-caméra au début) ou le champ/contrechamp marquent cet impossibilité de communiquer entre gens de même classe comme le suggèrent les commandes inutilement hurlées par la serveuse asiatique. Mieux, le chauffeur de taxi à qui elle adresse la parole reste muet hors-champ. Bien qu'à bout de ressources, elle trouve encore moyen de se prostituer gratuitement. Au lieu de tirer force des courriers réguliers de Ben en voyage aux Indes, elle s'enfonce dans la déchéance au point de se sentir indigne de lui. Elle s'est par trop réfugiée dans l'imaginaire, dans le fétichisme des substituts car elle n'a pas d'espoir : "dans deux ans vous me verrez à la morgue" dit-elle à Linda.
   Sue (Anna Thomson, Galerie des Bobines) est une espèce d'être céleste né du buisson ardent en plein désert new-yorkais.
   Dans les bars, la rue, l'appartement, si serré soit-il, le cadre ménage toujours un vide. La musique se contente d'accentuer les enchaînements du montage, et laisse place à une subtile rumeur urbaine à la fois uniforme et lisible avec d'imperceptibles effets dramaturgiques de décrescendo.
   Certes, le cri féminin à l'hôtel sonne faux, le comportement de Ben est stéréotypé, le chant de saxo ténor final trop plaintif, et convenues les scènes de lit dont l'une rehaussée de trompette romantique. L'érotisme de la scène de cinéma est beaucoup plus intéressant : il procède d'un jeu sur le pop corn. Sue s'en passe par économie. À deux fauteuils de distance s'assoit un homme muni d'un paquet de pop corn. Elle en réclame. Un cunnilinctus s'ensuit après qu'on ait vu la bouche pleine du partenaire.
   Notable économie du montage : une petite moue suffit pour indiquer que l'entretien pour le baby-sitting est négatif ; il est probable qu'elle a perdu sa place de serveuse, mais on ne saura jamais comment ni quand. Le meilleur peut-être provient de ce que le déroulement est toujours imprévisible. Sue et Linda entrent dans un bar pour un café, se commandent des whiskies. Linda sort son pistolet et se fait apporter cinquante dollars, puis va braquer une banque que le cadre ne dévoile qu'
in extremis.
   Qu'il est réconfortant de tomber sur un film réfractaire aux concessions usuelles ! 3/03/01
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