CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE



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Gjergj XHUVANI
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Slogans Alb.-Fr. VO 2001 90' ; R. G. Xhuvani ; Sc. Yves Hanchar, G. Xhuvani, Ylljet Aliçka, d'après la nouvelle de celui-ci Les Slogans de pierre ; Ph. Gérald Thiaville ; Mont. Didier Ranz ; Son Pierre-Yves Lavoué ; M. Denis Barbier ; Déc. Shagir Veseli ; Cost. Durim Meziri ; Pr. Albanian General Vision, Les Films des Tournelles, Les Films en hiver ; Int. Artur Gorishti (André), Birce Hasko (Sabaf, le secrétaire du Parti), Luiza Xhuvani (Diana), Niko Kanxheri (Selman, le berger), Agim Quijaqi (le directeur), Festim Çela (Llesh).

   Fin des années soixante-dix, sous Enver Hoxha, André quitte Tirana pour un poste de professeur de biologie dans une petite école de montagne. Sa première mission est la responsabilité d'un slogan. Chaque classe est chargée d'en rédiger un sur une vaste pente abrupte à l'aide de pierres formant des lettres de deux mètres de haut, travail harassant, au détriment du programme scolaire. Diana la jolie collègue de français ne cache pas son hostilité envers André, qui se montre trop respectueux devant le Secrétaire Sabaf, lequel a la haute main sur toutes les questions de la commune et sur une bonne partie des femmes.
   André sympathise avec Selma, berger analphabète, considéré comme réactionnaire par les autorités. Á cause d'un lapsus en classe d'histoire assimilant les révolutionnaires chinois alliés de l'Albanie aux révisionnistes soviétiques, son fils, bien que s'étant repris, doit subir un interrogatoire humiliant du conseil pédagogique mené par Sabaf. Diana prend sa défense. Sous prétexte de lui conseiller la prudence en privé, le directeur tente de l'embrasser. Face à la tyrannie officielle Diana se sent en complicité avec André.
   Sabaf annonce en grande pompe le passage d'un dignitaire du Parti sur la route surplombant le village. De nouveau slogans sont attribués. Par mesure de rétorsion, Diana écope du plus long. André lui propose son aide. En pleine nuit, Selman, qui vit dans une pauvre cabane, vient demander à André de lui rédiger une lettre au Parti pour l'attribution d'un logement. La relation d'André et de Diana devient tout à fait tendre. Une étreinte les fait rouler sur les slogans mais ils ne sont pas les seuls à les profaner, sans compter les intempéries. Une patrouille d'inspection constate qu'il manque un
E. Selman est arrêté et jugé responsable de la détérioration des slogans en réunion publique de comité. André prend sa défense, arguant qu'analphabète, il ne pouvait viser aucun slogan en particulier. En vain. Le berger est embarqué dans le fourgon de la Sécurité.
   Cependant pour préparer le passage du notable, on se rend à la limite du territoire, dans l'annexe de l'école tenue par l'instituteur Llesh. Celui-ci entretient un slogan soutenant le Vietnam dix ans après la fin de la guerre. Il est sommé de le détruire, ce qui le désespère car il l'a chéri toute sa vie. On lui en accordera un autre, actuel, sur le Vietnam. Cependant, applaudi et fêté à grands frais, le grand homme du Parti ne daigne pas faire halte. En confiant à André le slogan "Vive la dictature du prolétariat" à peindre en rouge sur un mur, le directeur et le secrétaire Sabaf lui annoncent qu'à cause de sa relation honteuse pour le village avec Diana celle-ci est mutée au loin. Parce qu'il a mal calligraphié son slogan il est traduit devant les représentants du Parti et du peuple. Pour sa défense, le prévenu invoque le mauvais état du mur. Sabaf lui reproche d'avoir défendu Selman, flirté en cachette et omis d'applaudir au passage le responsable du Parti. Grâce à l'intervention de la camarade Lumé, il est condamné à seulement six mois de travaux correctionnels dans la brigade agricole de ladite camarade.
   Celle-ci le viole quasiment. Il bénéficiera d'un bon rapport de fin de peine. "Il a bien travaillé. Et il ne s'est pas ménagé
physiquement" conclura la responsable. Le jeune professeur retrouve son poste pour de nouveaux slogans qui se font maintenant en brique blanche. Mais le directeur lui signale un inconvénient : les élèves les volent. André décide donc de faire avec sa classe des slogans en pierres comme auparavant. 

   Il ne s'agit pas simplement d'une satire, mais surtout d'une lente imprégnation de la conscience avec montée dramatique sur un ton uniforme. Le spectateur a donc la satisfaction d'avoir par lui-même participé à la construction du film sans qu'on lui mette les points sur les i. La musique auxiliaire même, qui n'intervient qu'aux enchaînements, est à peine ironique. À part un excès malicieux de rouges concertés (foulards, slogans, rideaux, nappes, tracteur..) le registre des images et du son reste naturaliste sans jamais forcer le trait.
   Cependant la résolution du sens est retardée par des leurres. André a tout du personnage positif. Son beau visage franc, ses qualités morales et sportives (il joue au foot avec les élèves), l'affection qu'il témoigne aux enfants sans compromettre son autorité, le cran de son intervention en faveur de Selman, lui confèrent même la stature d'un héros, qui lui fait mériter l'amour de la courageuse Diana, le seul véritable personnage subversif. De plus, ce couple de jeunes premiers programme à lui seul le triomphe de l'amour. Mais ce n'est qu'un leurre mesuré. En prenant la défense de Selman, André ne fait qu'imiter l'action de Diana en faveur du fils de celui-ci. Le spectateur ignore finalement si ce qui motive son désir de rapprochement avec sa collègue relève le moins du monde d'une conscience politique.
   On ne sait rien non plus de l'amour. Á son départ définitif, les yeux de Diana sont pleins de larmes, mais rien de manifeste chez André. Le récit est totalement discret sur les détails de leurs relations. On voit le couple s'embarquer sans préméditation sur le camion faisant office de bus, sans savoir s'ils passeront la nuit ensemble. Le leurre nourrit finalement l'ironie.
   Le véritable propos est la critique du totalitarisme par le microcosme du village. La présence du monde totalitaire culmine dans les figures du dignitaire indifférent et de la destination indéterminée du fourgon de la Sécurité. Les griefs du parti à l'endroit d'André concernent des événements dont le spectateur croit avoir été le seul témoin. Les amoureux n'ont été explicitement surpris que par le camion, mais encore hors-champ, avec une marge d'incertitude. Cette omnivoyance, suggérée dès la première séquence par l'
œil d'un visage à demi-caché sur une grande affiche entrevue à l'arrivée d'André - œil de Moscou ou Big Brother - semble tenir sa puissance de l'ingérence dans la politique des convoitises privées, en l'occurrence sexuelles, à la faveur du pouvoir.
   Ce qui perd vraiment André est le sexe : le directeur est jaloux, mais aussi le secrétaire du Parti, un personnage particulièrement médiocre et obtus qui se réserve le droit de cuissage. C'est tellement vrai que c'est encore le sexe qui décide pour le Parti dans le procès public du professeur de biologie : la camarade Lumé le prend sous son aile par intérêt sexuel, lui évitant une peine plus sévère.
   Ce sont donc la corruption et la lâcheté qui l'emportent. André remplace les briques par les pierres par lassitude, pour collaborer. Mais la lâcheté donne la mesure de l'horreur totalitaire. L'individu isolé est totalement impuissant. Le Parti a réussi à faire du héros un mouton et les petits-chefs à renforcer leur pouvoir.
   En résumé, par la sobriété, le caractère elliptique, la direction d'acteur, la justesse de ton, l'humour noir, la finesse de construction, ce film sans être une exception artistique, constitue un témoignage critique de premier ordre. 6/08/05 
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