CINÉMATOGRAPHE 

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Fred ZINNEMAN
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Le Train sifflera trois fois (High Noon) USA VO N&B 1952 85' ; R. F. Zinneman ; Sc. Carl Foreman ; Ph. Floyd Crosby ; M. Dimitri Tiomkin ; Mont. Elmo Williams ; Pr. Stanley Kramer ; Int. Gary Cooper (Kane), Grace Kelly (Amy Kane), Thomas Mitchell (Jonas Handerson), Lloyd Bridges (Harvey), Katy Jurado (Helen Ramirez), Ian MacDonald (Frank Miller), Lon Chaney Jr (Martin Howe), Lee Van Cleef (Jack Colby, Galerie des Bobines).

   À peine marié, le shérif Kane (Gary Cooper, Galerie des Bobines) connaît sa première scène de ménage car il s'obstine à vouloir affronter un dangereux criminel gracié malgré ses efforts pour l'envoyer à la potence, et dont le retour vengeur est annoncé au train de midi. Quateresse, donc non-violente, l'épouse se résout à partir vierge par le même train pour marquer sa désapprobation. En temps réel, rythmé par des inserts d'horloges, Kane frappe en vain à toutes les portes pour se trouver des assistants. C'est son problème, il n'avait qu'à partir. Il devra donc abattre seul le bandit et ses trois acolytes avec l'aide de sa femme revenue sur l'incitation d'une ancienne maîtresse, Helen Ramirez. Les jeunes mariés partent sans un mot pour la foule qui les entoure, laissant derrière eux l'insigne de shérif balancé dans la poussière.


   Véritable tragédie observant la règle des trois unités, mais surtout montée, cadrée, sonorisée de main de maître. Le montage se joue à deux niveaux : intraséquentiel et global. Ce dernier fait alterner la quête désespérée de Kane avec l'attitude de la population, les horloges en temps réel, l'approche du train et l'attente des acolytes. Sous un soleil de plomb (surexposition des extérieurs vus de l'intérieur) Kane erre dans un village totalement désert parfois surplombé à la grue.
   Petit à petit, la population incline à souhaiter avec la mort de Kane le retour de la pègre. Les horloges sont embusquées derrière les portes ou à l'arrière-plan, voire prennent la forme infime d'un balancier en amorce dans un coin du cadre. De temps en temps un panoramique vertical remonte le long du balancier pour solennellement s'arrêter sur le cadran dont les aiguilles ont à peine bougé. Ailleurs, l'horloge occupe un plan d'insert désigné en raccord par la direction du regard d'un personnage dans le plan précédent et d'un autre dans le suivant, sans que l'on sache auquel des deux elle appartient, à moins qu'il ne s'agisse d'un troisième lieu. Ou bien elle apparaît à la faveur d'un recadrage invisible, le mouvement d'appareil étant exactement synchrone à la fermeture de la porte initialement cadrée.
   Sorte d'accessoire tragique en son étrangeté, la gare est isolée du bourg. Prises caméra au sol, les deux rails de la voie s'élancent des coins inférieurs du cadre pour converger à l'horizon en profondeur de champ. Au second plan trois dépendances du service dont un réservoir d'eau dressent leur silhouette insolite et vacante. L'imminence du panache de fumée s'exacerbe à proportion de la réitération du même plan. Zinneman redécouvre un paradoxe du plan d'ensemble qu'a souligné Bergman à propos du
Septième Sceau : il peut être plus pathétique d'aller à l'événement perdu dans un vaste contexte que de le recevoir passivement en gros plan. Ainsi de la scène où les époux se retrouvent après la tuerie.
   Toute la valeur tragique par ailleurs se nourrit de la thématisation antagoniste des hors-la-loi. La puissance de la menace se mesure aux mouvements d'appareil fouettant l'arrière-plan pour les accompagner en cadrage serré. Assis affalés sur des objets quelconques, hétéroclites au bord du quai, sûrs du destin, ils tuent le temps. L'un d'eux entonne insolemment le thème "de fosse" à l'harmonica. Les qualités de l'air célèbre de Tiomkin ne tiennent pas tant à l'invention mélodique qu'aux ambiguïtés : lorsque les jeunes mariés s'évadent emportés avec fougue par quatre chevaux, le thème musical se fait épique, mais c'est un leurre : Kane fait demi-tour. Sauf pour marquer lourdement l'opposition manichéenne entre les protagonistes, la musique auxiliaire sait donc éviter de s'ordonner l'image.
   Il y a en tout cas une imagination sonore inhabituelle à cette époque et dans ce genre : ni réverbéré ni atténué par la distance, le sifflement du train encore invisible paraît tout proche. Quant au montage intraséquentiel, il développe une logique d'une hallucinante netteté. Les variations de grosseur dans les champs/contrechamps correspondent strictement à des nuances émotionnelles suggérées ou lisibles sur les visages. Le rythme de l'alternance entre le détail et le tout, entre la psychologie du héros et les fluctuations réglées de l'opinion, imprime une dialectique qui est la mécanique même du récit. À la figure du balancement correspondant à l'horloge répond bien l'ambiguïté.
   Celle des personnages également, à l'instar d'Helen Ramirez, à la fois respectée et méprisée, femme d'affaires et Mexicaine, digne et indigne (motifs de la robe évoquant des porte-jarretelles), protégeant Kane et ouvrant son saloon à ses ennemis, donnant une leçon de courage et d'amour à la belle Yankee Amy (Grace Kelly : Galerie des Bobines) à laquelle elle est socialement inférieure. C'est cette dernière aussi qui, farouchement opposée par sa religion au meurtre, abat un des bandits. Ceci par un déterminisme tragique qu'incarne ce pistolet vacant de l'adjoint démissionnaire, cadré et recadré jusqu'au dénouement, banalement suspendu au piton dans le bureau du shérif.
   Assurément l'œuvre, en stimulant le western Spaghetti, a permis de renouveler le genre. Ce n'est pas un hasard si Lee Van Cleef récidive sous la houlette de Sergio Leone. Par ailleurs, il paraît que la Nouvelle Vague n'a pas aimé ce film. Elle admira par contre Les Contrebandiers du Moonfleet
de Lang, ce qui semblerait très discutable. Ceci explique-t-il cela ? Lequel a la tête à l'endroit, lequel à l'envers lorsque deux mondes sont aux antipodes l'un de l'autre ? Mai/juin/02 Retour titres