CINÉMATOGRAPHE 

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Lois WEBER
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Shoes USA  Muet teinté 1916 50' ; R. L. Weber ; Sc. L. Weber, d'apr. Jane Adams, Stella Wynne Herron ; Ph. Stephen S. Norton, King Gray, Al Siegler ; Pr. Bluebird Photoplays ; Int. Mary MacLaren (Eva Mayer), Mattie Witting (sa mère), Harry Griffith (son père), Jessie Arnold (Lil), William V. Mong (le séducteur).

   Eva Mayer, l'aînée de quatre filles, dont le père flemmarde, entretient toute la famille comme vendeuse dans un magasin. Mais elle n'a pas de quoi remplacer ses bottines qui, s'imbibant sous les averses répétées, menacent de se réduire en bouillie et mettent à mal sa santé. Ayant tapé dans l'œil d'un joli cœur qui a déjà séduit sa copine Lil, elle finit, de guerre lasse, après s'être longtemps réfugiée dans les rêves éveillés d'une vie meilleure, par se résoudre à "se vendre pour une paire de chaussures".

   Film social sur la pauvreté, sans prêche ni pathos. La direction d'acteur est très au-dessus des pratiques de l'époque par la sobriété. L'accablement ne s'exprime pas convulsivement mais dans l'attitude un peu voûtée et la bouille de raton laveur de Mary MacLaren, qui laisse deviner la détresse intérieure plutôt qu'il ne la projette hystériquement sur l'écran. Celle-ci n'exclut d'ailleurs pas la gaieté juvénile et la malice des petites sœurs. La crédibilité du récit se nourrit d'un naturalisme de la vie quotidienne, tâches domestiques et métier de vendeuse aussi bien que scènes d'extérieur de la grande ville, même si les séquences de rêve peuvent paraître occuper beaucoup de place, surtout s'agissant des effets spéciaux comme la grande main décharnée (
cliché filmique du temps), marquée "poverty" et crispée sur la tête d'Eva.
   La pauvreté est d'ailleurs moins montrée que suggérée, par de brefs faits divers adventices. Un jeune homme au soir devant la porte de l'immeuble des Mayer disparaît à l'intérieur à l'approche d'un flic. Un malfaiteur est expulsé du Blue Goose, le cabaret où chante le séducteur, au moment où Eva arrive pour le rejoindre. Le bleu teinté des extérieurs-nuit, dans les deux cas, témoigne du sombre destin. Juxtaposition plutôt que causation. Nul jugement mais tableau des conditions. Le miroir dans lequel se reflète le visage de celle qui s'est parée pour se vendre est fêlé. Fêlure au monde autant qu'à la personne. Lil ne se lasse pas de regarder la montre que lui a offerte le séducteur. Cela ne paraît pas aller au-delà du plaisir de vivre. Ce n'est pas voyeur. C'est bien l'œuvre d'une femme.
   Qui plus est véritable cinéaste, qui connaît la langue des images, procédant par relations mutuelles de ses éléments. En passant de plan moyen à plus large
le recadrage traduit une sorte d'objectivation de la vision subjective, quand par ex. Eva surprend son père affalé sur son lit. Le hors champ, la pression de l'inflexible réel quand la mère tend la main vers le bord-cadre et que le plan suivant présente une suite linéaire de feuilles du calendrier marquant, avec la fin du mois qui se traîne, l'arrivée espérée du salaire pourtant hypothéqué. D'autant plus terrible qu'il ne se trouve pas dans la pièce et semble l'emblème même de la présence d'un monde implacable. Le gros plan en plongée des bottines sous le déluge est suivi d'un plan poitrine en axe inverse comme si Eva allait à rebours de ses pieds si mal chaussés, ou comme si le cameraman lui faisait face après l'avoir dépassée. 28/03/18 Retour titres