CINÉMATOGRAPHE 

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Ingmar BERGMAN
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Le Septième sceau (Det sjunde inseglet) S. VO N&B 1956 95' ; R. Sc. I. Bergman, d'après sa pièce Peinture sur bois ; Ph. Gunnar Fischer ; M. Erik Nordgren ; Pr. Svenk Filmindustri ; Int. Max von Sydow (le chevalier Antonius Block), Gunnar Björnstrand (son écuyer, Jöns), Nils Poppe (Jof, le jongleur), Bibi Andersson (Maria, sa femme), Inga Gill (Lisa, la femme du forgeron), Ake Fridell (Plog, le forgeron), Bengt Ekerot (la Mort), Inga Landgré (la femme du chevalier), Maud Handsson (la sorcière), Bertil Andeberg (le séminariste). 

   Au XIV
e siècle, retour de croisades dans une ambiance d'Apocalypse, la peste ravageant le pays, le chevalier Blok flanqué de son écuyer Jöns, mécréant au grand cœur, entreprend une partie d'échecs avec la Mort afin de retarder l'échéance et trouver réponse à ses doutes.
   Ils croisent la roulotte d'une troupe de théâtre itinérante : Jonas Skat le directeur, Jof le jongleur, sa femme Marie et leur bébé Michel. Jöns engage une jeune fille qu'il a sauvée du viol d'un détrousseur de cadavres, en lequel il reconnaît Raval, le prédicateur qui les exhorta aux croisades dix ans auparavant. Une représentation de la troupe est troublée par une procession lugubre menée par un affreux moine qui tire parti de l'épidémie pour recruter les fidèles épouvantés. Ce qui n'empêche pas Jonas de filer avec Lise, la femme du forgeron Plog. À l'auberge, Jof est sauvé par Jöns des mains sanguinaires de Raval - qu'il punit en lui crevant les yeux - poussé par Plog rendu furieux par la disparition de sa femme. Jof en profite pour dérober à Raval un bracelet prélevé sur un cadavre pour l'offrir à sa femme.
   Blok prenant les Jof sous sa protection propose de les conduire à travers la forêt jusqu'à son château, refuge pense-t-il contre la peste. Plog les rejoint en compagnie de Jöns. Ils rencontrent Lise et son amant, qui feint le suicide par le truchement d'un couteau de théâtre. Mais il n'est pas tiré d'affaires pour autant : la Mort le cueille en sciant l'arbre sur lequel il s'était réfugié pour la nuit. Le groupe croise une jeune sorcière condamnée au bûcher. Blok s'adresse à elle pour compléter ses connaissances sur le Diable, mais comprenant qu'elle est terrorisée, lui administre du poison pour éviter les souffrances du supplice.
   Cependant, la Mort n'a pas oublié la partie d'échecs, qu'elle remporte. Jof ayant un don de seconde vue l'a compris. Il prend la fuite avec femme et fils, poursuivi par une tempête identifiée à l'Ange exterminateur. Blok ne retrouve sa femme et le château que pour retomber dans les bras de la Mort qui les entraîne tous. Seule subsiste la petite famille de Jof, qui voit s'éloigner en farandole sur un ciel d'orage le groupe conduit par la Mort, où se détache Raval. 

   Développant au moyen d'un langage à variation de registre le thème du doute engendré par la complexité morale d'êtres soumis à une crise apocalyptique, le film est traversé par une figure d'espoir incarnée par Marie et son enfant. Faute d'intégrer toute la richesse du matériau imaginaire, il n'a guère cependant le souffle de l'ampleur du projet.
   Le chevalier quête la perfection morale mais défie la Mort comme Don Juan ; l'écuyer remet en cause les fondements spirituels avec une insolence qui rappelle les valets de la comédie des Lumières, tout en étant bon et loyal. Aussi engage-t-il la jeune fille qu'il a sauvée du viol bien qu'elle se soit dérobée à ses caresses, et sauve-t-il Jof qui ne lui est rien. Son maître est un vrai chevalier protecteur du faible, mais dont la foi vacille : il compte développer ses connaissances pour la muer en certitude, ce qui revient à un véritable doute. Tous deux sont pourvus d'une bravoure à toute épreuve, trempée dans dix années de combats titanesques.
   Sous un ciel crépusculaire, ils débarquent sur la grève pierreuse et désertique, seuls dans un monde stérile à en croire les plan lointains des deux cavaliers en plongée parmi d'énormes quartiers de roche. Le tragique est là dans la lutte inégale annoncée entre des humains héroïques mais affaiblis par leurs contradictions et un destin apocalyptique. Pour être incarnée par un être à l'apparence humaine, la Mort n'en a pas moins le don d'ubiquité, magnifiquement souligné par ce jeu qui la fait surgir d'un hors champ aussi inaccessible à Blok qu'au
spectateur. L'homme est donc impuissant comme l'indique la mort du pestiféré, pathétique d'être cadrée dans une pénombre lointaine en contrechamp du groupe. Au point que seule une figure sublimée peut être épargnée.
   Jof est certes un homme simple, Charpentier des planches n'hésitant pas à commettre un larcin sans malice pour sa belle dont il incarne naïvement le cocu sur les tréteaux au profit du directeur. Mais tout en lui et autour de lui rayonne : ses étonnements d'enfant, la nature radieuse, les animaux, et la Vierge, avatar de son épouse, qui lui apparaît avec l'Enfant. C'est un simple d'esprit aux facultés suprasensorielles pour qui le monde physique répond à d'autres lois que celles connues. N'ambitionne-t-il pas pour son fils, en plaisantant à demi, de pouvoir stabiliser en l'air les boules du métier, espoir appuyé par le cadrage qui les rejette
hors-champ à l'entraînement.
   Mais paradoxalement, son personnage participe du versant burlesque du film, destiné à donner au tragique sa véritable dimension, qui n'est pas le pathos, mais l'inéluctable sans distinction de registre. Ce qui souligne le miracle dans une contradiction qui fait la force du film, car on craint pour la vie de la petite famille, dont la sauvegarde est ressentie comme rupture avec le registre dominant. La mort est là sous la forme d'un masque macabre suspendu à la roulotte et cadré comme tête quelconque parmi celles du
groupe, le souffle et le tonnerre de l'Ange exterminateur les pourchasse, pour qu'éclate le lumineux triomphe du dénouement.
   Trop de fumées et de contorsions dans le lugubre en revanche, abus des ciels tragiques y compris un coucher de soleil que n'excuse pas l'intention du sens eschatologique, orages bâclés, pathos d'un Christ rustique de bois grimaçant cadré oblique, scène de tréteaux complaisamment étalée dans le temps, décors sommaires, notamment le château. Surtout, le commentaire musical cherche d'évidence à noyer la disparate qui en résulte dans un bain macabre, impuissant à dialectiser l'Apocalypse et Dieu.
   S'expriment surtout en définitive les doutes personnels de l'auteur qui ne lui permettent pas toujours de s'affranchir du théâtre filmé tout en témoignant d'une capacité artistique à la fois globale et sporadique. Qu'il suffise d'évoquer la scène de la danse de l'ours à laquelle est contraint Jof sur la table de l'auberge, qui est un montage alterné sur les extrémités du corps. Donc on a tout le corps sous forme disjointe et elliptique mais en plans serrés au maximum, le rythme de la danse étant contrepointé par le rythme du montage. 7/10/05
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