CINÉMATOGRAPHE 

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Howard HAWKS
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Scarface (Scarface/Scarface Shame of the Nation) USA VO N&B 1931 93' ; R. H. Hawks ; Sc. Ben Hecht, Seton Miller, John Mahin, F. Pasley, W.R. Burnett, d'après Armitage Trail ; Ph. Lee Garmes, William O'Connell ; M. Adolph Tandler, Gus Arnheim ; Pr. Howard Hugues/H. Hawks ; Int. Paul Muni (Tony Camonte "Scarface"), George Raft (Guido Rinaldo), Ann Dvorak (Cesca), Karen Morley (Poppy), Osgood Perkins (Johnny Lovo), Boris Karloff (Tom Gaffney), Henry Gordon (Guarino).

   Récit de la carrière de Tony Camonte, dont le modèle est Al Capone. Après avoir assassiné le caïd Louie Costillo, son patron, Tony devient garde de corps du chef de bootleggers Lovo, prenant des initiatives dans son dos au prix d'une guerre des gangs, remportée grâce à ses méthodes impitoyables. Il courtise Poppy la maîtresse du patron et se montre maladivement jaloux de sa sœur Cesca, interdite de sexe.
   Finalement Poppy choisit le plus fort et Tony abat Lovo qui avait cherché à l'éliminer. Il est au sommet de sa puissance mais en assassinant son second, Guido, trouvé en ménage avec sa sœur, sans savoir qu'ils sont mariés en secret, il signe sa perte. Traumatisé d'avoir tué son beau-frère, il se laisse assiéger par les forces de police dans sa maison blindée, où le rejoint sa sœur pour le tuer. Ils se réconcilient pourtant mais périssent dans l'assaut.

   À cause des démêlés avec la censure, qui fit modifier la fin et le titre, la sortie en salle n'a lieu qu'en 1932. La censure fut incapable de comprendre que ce film, qui a marqué le genre de son empreinte, n'avait pas besoin de grossiers signaux d'alarmes pour dénoncer la pègre. Les propos moralisateurs des flics, comme la lâcheté de Tony à la fin, sentent trop la propagande pour ne pas affadir l'intrigue.
   En réalité, le talent de Paul Muni (Galerie des Bobines) compose un personnage fascinant mais tellement fruste (son secrétaire ne sait ni lire, ni écrire, ni répondre au téléphone) et nuisible qu'on ne peut s'y identifier. La qualité du film tient à plusieurs choses. À l'ascétisme (notamment grâce à l'absence de liant musical) et à la vigueur du montage narratif, qui ne cesse de rebondir comme si chaque épisode recouvrait déjà le suivant et ainsi de suite.
   Les mouvements incisifs et concis de la caméra y contribuent : voir le meurtre de Costillo inaugurant le film en un seul plan séquence de 3'10''. L'asphalte mouillé des scènes de la ville nocturne procure la sensation d'un terrain glissant et peu net, dynamisé par la multiplication des reflets. La bande-son épurée de musique auxiliaire fait montre d'un professionnalisme précoce et magnifique bien que dépourvu d'imagination (voir
La Chienne de Renoir tourné la même année).
   Combinés à un ralentissement du tempo lourd de sens, les jeux d'ombre sur les yeux de Muni montrent mieux la colère meurtrière que tout effet expressif. La cicatrice cruciforme marquant sa pommette devient le symbole de ses méfaits. Chaque meurtre s'assortit d'une variation sur la figure de la croix (par projection lumineuse, ombre portée, cadrage d'un panneau du code indiquant un croisement ou d'un ventilateur à quatre pales, etc.). Mieux, au meurtre collectif de la Saint Valentin dans un garage, après la vision des ombres portées sur le mur de briques des sept victimes s'effondrant, un panoramique vertical bas-haut cadre une traverse du toit renforcée de croisillons alignés, qui font alors figure de rangée de croix tombales. Mais l'emblème finit par se retourner contre le meurtrier par le biais de sa sœur. Il stigmatise d'abord le dos de celle-ci, sous la forme des bretelles croisées de sa robe du soir, puis la porte de son appartement de jeune mariée, qui porte le numéro X en chiffres romains.
   Pour être supportable, décidément, un film noir exige, plus que tout autre peut-être, la main de maître. 16/08/02
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