CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Agnès VARDA
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Sans Toit ni Loi Fr. 1985 105' ; R. A. Varda ; Ph. Patrick Blossier ; Son Jean-Paul Mugel ; Mont. A. Varda et Patricia Mazuy ; M. Joanna Bruzdowicz, Fred Chichin ; Pr. Oury Milshtein ; Int. Sandrine Bonnaire (Mona), Macha Méril (Mme Landier), Stéphane Freiss (Jean-Pierre), Yolande Moreau (Yolande), Marthe Jarnias (tante Lydie), Joël Fosse (Paulo), Patrick Schmit (le camionneur), Laurence Cortadellas (Eliane), Pierre Imbert (le garagiste), Gabriel Mariani (l'oncle Aimé), Patrick Lepczynski (David), Sylvain et Sabine (les bergers), Yahiaoui Assouna (Assoun, le Tunisien), Aimé Chisci (le régisseur).

   La jeune Mona erre sac au dos dans le Gard. Ses rencontres par le truchement de l'auto-stop, des petits boulots et des squats parfois se recoupent entre elles. Un camionneur, un garagiste, des bergers du retour à la terre, une agronome universitaire et son assistant, la vieille tante Lydie et sa bonne Yolande, un saisonnier tunisien, autant de témoignages parcellaires s'exprimant après le décès de la vagabonde. Mme Landier, universitaire qui fait la tournée des platanes malades, prend Mona en stop et sous son aile, provisoirement. Son assistant Jean-Pierre s'avère être le neveu de Lydie dont il convoite la maison. L'oncle de Yolande est le gardien d'un château que Mona squatte avec son amant David. Le couple fait rêver Yolande qui se plaint de l'indifférence de son amant Paulo. Lequel cambriole le château. En plein hiver un incendie détruit les affaires de Mona dans le squat partagé avec de jeunes paumés comme elle, qui rançonnent les voyageurs à la gare. Errant transie dans le vignoble elle fait une chute dans une fosse au pied d'une butte surmontée de deux cyprès. On la retrouve sans vie au matin. 
     
    Dédié à Nathalie Sarraute, le film rend hommage au Nouveau roman par sa narration brisée et son régime ludique. La volonté de témoignage d'une crise de société se traduisant par la dérive d'une partie de la jeunesse, se cautionne de micro-visions ethnologiques occasionnelles tenant lieu de fond réaliste sur lequel s'enlève l'exclusion sociale. La variété des situations est ainsi mise en jeu par le caractère fortuit des liens et la profusion d'associations verbales (comme y invite le titre : sans toit/toi/foi ni loi) et visuelles dans un effet global d'ubiquité. La tombe est là en effet dès le début comme impression de tombeau monumental que procurent deux serres-tunnels en plastique formant deux bras rattachés solennellement comme au corps de pierre d'un sphynx à la butte où culminent les cyprès jumeaux. Le film se voudrait "tombeau", au sens d'éloge poétique d'un illustre défunt.
   Jeux de mots et d'images doublent ainsi le récit d'un commentaire autonome, indépendant de la contrainte narrative et du foyer central unique. Par le jeu des signes verbaux saisis au passage, l'auto-stop, par-delà le fait réaliste, s'inscrit dans le paysage comme une des nécessités fictives du déploiement aléatoire du film dynamisé en travellings répétés. La fiction affichée démystifie la vaine prétention à représenter une vérité du personnage. Ce qu'est censée penser une trimardeuse affamée un dimanche matin où tout est fermé, le film le dit à sa manière. Sur le fond aride d'un mur de pierre nu, comme frappé d'un accent graphique par un pneu accroché à l'angle supérieur droit,
un panneau indicateur de station-service affiche en rouge "ouvert le dimanche" au dessus de la mention "super" (l'essence) en noir, écho visuel assurément d'une exclamation intérieure de Mona. Ailleurs la faim se fait jour par le truchement d'une machine agricole dentée à laquelle succède le plan d'une baguette de pain sec tirée du sac. Ce genre de détournement du donné constitue un commentaire autodynamique, sans prêche, de la crise morale qui jette une certaine jeunesse aux orties comme le suggère ce panneau de signalisation de sortie scolaire renversé que croise un adulte en cyclomoteur. De même que le désœuvrement nihiliste est ironiquement dénoncé sur un panneau indiquant par une main picto-typographique démodée la direction du bureau devant le squat. Les conséquences délétères quant à la vie amoureuse se déclinent sur le mode de la dérision morose. Le fils du garagiste surprend par la fenêtre son père se reculottant au sortir de la tente de Mona. Sur le mur le mot station coupé par le cadre semble emprunter au mot tâtons. En contrechamp dépannage inscrit à la peinture sur le camion commente plaisamment la passe gratuite du garagiste sous la tente. La barrière du bois où Mona sera violée est défendue par l'avertissement "chasse gardée". Sous la photo d'une fille étalée sur le ventre fesses nues les jambes écartées on peut lire "fermeture", au moment où la femme du régisseur s'inquiète de l'exemple de Mona sur sa fille.
   À cette mécanique imperturbable répond le ton neutre du récit et l'indifférence des acteurs à la caméra. Pas plus de jugement donc sur les gens que sur le comportement d'une fille qui, davantage que des garçons de même condition, eût été à l'époque condamnée par les bien-pensants.
   Petite réserve cependant : l'émiettement semble l'emporter sur la fragmentation. Les grincements d'un quatuor pseudo moderniste contrarient le libre jeu filmique à y surimposer des affects mélancoliques. L'accent porte davantage sur l'esthétique de la photographie
 que sur le prélèvement dans un flux. Bref il me semble que la fabrique l'emporte sur l'art, ce d'autant que l'on est acculé à l'impuissance du constat, que le questionnement se clôt avec le dernier plan.
   Les prestigieuses récompenses (Lion d'or, César de la meilleure actrice et j'en passe) sont, à tout prendre, amplement méritées en raison d'un travail expérimental de premier ordre. 25/03/19 Retour titre