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Akira KUROSAWA
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Sanjuro des camélias (Tsubaki Sanjuro) Jap. VO Scope N&B 1962 96' ; R., Mont. A. Kurosawa ; Sc. A. Kurosawa, Ryuzo Kikushima, Hideo Oguni, d'après le roman de Shugoro Yamamoto Jours de paix ; Ph. Fukuzo Koizumi, Takao Saito ; Lum. Ichiro Inohara ; Déc. Yoshiro Muraki ; Son Wataru Konuma, Hisashi Shimonaga ; M. Masaru Sato ; Pr. Tomoyuki Tanaka, Ryuzo Kukushima/Kurosawa Productions/Toho ; Int. Toshiro Mifune (Sanjuro Tsubaki, rônin), Tatsuya Nakadai (Hanbei Muroto, bras droit du chef de la police Kikui), Yuzo Kayama (Iori Izaka, chef des jeunes samouraïs), Takashi Shimura (Kurofuji), Masao Shimizu (Kikui, chef de la police), Yunosuke Ito (le gouverneur Mutsuta), Takako Irie (son épouse), Reiko Dan (Chidori, sa fille).

   Afin de renverser le gouverneur du château Mutsuta, le Grand Inspecteur Kikui entend éliminer un groupe de neuf jeunes samouraïs rebelles, dont le chef est un neveu dudit gouverneur. Ils sont secourus par un rônin anonyme, trentenaire grossier,
dépenaillé et paresseux, qui se révélera haut stratège, redoutable au combat. Mutsuta est arrêté sous quelque prétexte avec son épouse et sa fille. Celles-ci sont délivrées par la petite troupe installée dans la résidence voisine à celle dite des Camélias où, assisté de Muroto, son bras droit, Kikui tient son quartier général. En réponse à la question de la femme du gouverneur, le rônin prétend opportunément s'appeler Tsubaki Sanjuro, c'est-à-dire le Trentenaire des camélias.
   Dans cet enjeu de guerre civile, la ruse est déterminante, le montage permettant au spectateur d'en suivre tous les méandres dans le secret des deux partis. La maison des conjurés étant en amont d'un ruisseau qui traverse les deux propriétés, le gouverneur fait savoir par un signe confié au fil de l'eau qu'il est détenu à côté. Pour la dernière manche, Sanjuro imagine d'éloigner l'armée en répandant la fausse nouvelle qu'au nombre de cent-trente, les opposants sont réunis dans l'enceinte d'un temple. Dans le but de mener à bien le plan, il feint d'accepter une proposition d'engagement émanant de Muroto en hommage à sa science du combat, ce qui lui permet de pénétrer chez
l'ennemi. Il est convenu que des fleurs de camélia lâchées dans le fameux ruisseau seront le signal d'attaque.
   Mais le rônin avait commis une erreur en prétendant avoir surpris le rassemblement séditieux depuis le réduit surmontant le portail du temple : ce portail ne comporte pas de réduit. Il est arrêté et ligoté sur place. À la merci des fidèles du Grand Inspecteur chargés de le garder en attendant le retour de l'armée, Sanjuro avertit que la résidence des camélias sera investie s'il n'envoie le signal des camélias. Terrifiés ils s'empressent de couper les fleurs et de les livrer au courant du ruisseau. Neuf intrépides assaillants délivrent alors Sanjuro et le gouverneur. Muroto humilié exige de Sanjuro un combat singulier, qui lui est
fatal. Déclinant l'invitation de Mutsuta et indifférent à la vénération que lui vouent les Neuf, le vainqueur repart vers d'autres aventures.

   Sur un mode plaisant, selon un large registre allant du burlesque à l'ironie, réglé avec une habileté diabolique comme un véritable ballet, c'est un récit initiatique dont la morale clame qu'il ne faut point se fier aux apparences. Les apparences se résument bien dans la laideur de l'excellent
gouverneur, laquelle incita d'abord les jeunes samouraïs à se fier au Grand Inspecteur, qui les a embobinés. La valeur de Sanjuro ne se mesure pas davantage à cette vulgarité qui choque tant les jeunes en les obligeant à constamment violenter le confort des certitudes définitives. À les prendre en défaut à tout moment, Sanjuro semble même détenir la vérité. Ce n'est encore qu'une apparence, car il trouve plus fort que lui dans le pacifisme de Dame Mutsuta. Celle-ci préfère à la mise à mort la confiance en demandant au prisonnier de rester avec eux. À la suite de quoi il se cantonne à son placard, qui n'est pas fermé à clé, et il ne sort que pour distribuer de judicieux conseils.
   La bonne voie, celle de la suavité esthétique et morale, est figurée par les camélias et le ruisseau
. Le ruisseau n'est pas seulement le salutaire messager. Il est aussi, magnifié par le bruissement, un élément de plastique sonore suggérant l'union du bon et du beau. Lorsque les fleurs annoncent que la voie est libre, Dame Mutsuta, au lieu de commenter l'importance stratégique de l'événement, se contente de remarquer : "c'est beau !" Antinomique à son caractère, le nom que s'attribue le rônin, a donc un effet de dérision. Associer en général beauté et bonté à leur contraire produit le même effet. Observant ses jeunes adversaires par dessus le mur du jardin, Kirofuji, fidèle de Kikui et propriétaire de la résidence des Camélias, paraît tellement déplacé au milieu de la resplendissante effloraison qu'il en est ridicule.
   Le comble de l'ironie, c'est lorsque les Neuf formés en corolle autour du rônin assis qui émerge comme un bourdon peu à peu mâchant sa boule de riz, évoque irrésistiblement l'épanouissement d'une fleur autour de son
pistil.
   Au plan sonore d'autre part, le caractère fallacieux des apparences est souligné par la scansion moqueuse des gazouillis d'oiseau ou par une musique esthétiquement décalée, en accord avec le burlesque du comportement collectif des Neuf, et du rônin, au corps secoué de tics. A la nouvelle que l'armée tombée dans le piège a décampé, les Neuf exécutent quelques pas de danse rythmée sur des accords de jazz. Prenant soudain conscience d'avoir outrepassé son rôle, le prisonnier, qui se trémoussait gaiement avec les autres, regagne son
placard, l'échine basse.
   La multiplication de péripéties remettant incessamment en cause ce qu'on croyait d'avance acquis contribue d'une autre façon à la déconstruction des apparences. Dès les premières images, l'approche réglée au moyen de quatre plans de grosseur croissante sur les protagonistes depuis l'extérieur distant jusqu'à l'intérieur intime du pavillon où ils sont réunis, puis l'apparition du rônin dans la profondeur obscure de la pièce voisine après des manifestations sonores, s'inscrivent dans un système éminemment
ludique. S'y ajoute un jeu de surcadrages déréalisants et de portes coulissantes derrière lesquelles les personnages apparaissent et disparaissent de façon plus ou moins loufoque.
   Au total, Kurosawa, sans renoncer au son, renoue avec la perfection du muet, qui sut utiliser les données filmiques comme matériau de base à part entière au lieu de les soumettre aux données préexistantes du scénario, des acteurs, de la photo, etc. 20/06/04
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