MODALITÉ FÉMININE DE L'HUMOUR
ANNE ROUMANOV1
On peut dire ce que l'on veut des femmes en général, mais
on n'a jamais vu des troupeaux de femmes ivre-mortes
agiter des drapeaux dans les rues, après un match
de football, et hurler en titubant :
"On a gagné ! On a gagné !"Jacques STERNBERG
Fait à la fois génétique et d'apprentissage, le rire n'a pu être "adopté" par l'évolution que parce qu'il remplissait un rôle important pour la survie de l'espèce. Il apparaît en effet comme un principe de sauvegarde de la santé psychique de l'être humain en tant qu'il se sait fragile et précaire. Notre humanité n'est-elle pas assise sur une virulante animalité ? Le moi n'est-il pas une construction imaginaire et symbolique, péniblement élaborée au prix de morts symboliques et imaginaires successives ? La faculté cognitive ne s'acquiert-elle pas au terme d'un renoncement partiel donc révocable, à un empirisme ordonné au plaisir et à l'imaginaire ? Le néant ou la mort objectifs ne sont-ils pas au terme de la vie ? La personne ne risque-t-elle pas de s'aliéner dans l'altérité, ou de se dissoudre dans le collectif. Le groupe social n'est-il pas tributaire d'un équilibre relatif aux autres groupes ? L'existence de l'espèce n'est-elle pas soumise à l'équilibre transitoire des forces de l'univers ? etc.
Chacun de ces doutes fondamentaux peut se trouver au principe du rire. On rit de l'asocialité inhérente au sexe, ou de reconnaître en l'infantilisme sa propre enfance barrée sous peine d'exclusion sociale, de la méconnaissance cognitive comme menaçant l'édifice rationnel où se fonde la socialité, mais aussi de la pauvreté, de la folie, de la bêtise, de la délinquance, des difformités, des mutilations et de la mort parce qu'on l'a toujours-déjà échappé belle et que de toute façon on ne sera pas épargné. On rit aussi des contraintes sociales parce qu'elles briment le moi (cf. la belle ironie de Dostoïevski, rapportant la bureaucratie à de l'"extase administrative"), des étrangers à cause de la relativité des valeurs nationales, témoin, les touchants efforts de Jacques Toubon pour sauvegarder la pureté de la langue française (qui attend encore sa contrepartie de dérision), etc.
Quoi qu'il en soit on peut diviser ces dangers en deux types qui semblent entraîner deux types de rires : dangers intérieurs et extérieurs correspondant respectivement, semble-t-il, au comique et à l'humour.
- Intérieurs : la préhumanité infantile sacrifiée à la socialisation : elle met en effet en danger les titres de socialité révocables à tout moment au moyen de l'exclusion sociale (asile, prison). Elle est commune aux deux sexes qui la reconnaissent dans cette dérision de la monstruosité inhérente à l'enfance et indépendante du sexe (par opposition à la socialité adulte) qu'est le comique. C'est là-dessus que repose le cinéma d'un Chaplin, chez qui se perçoit bien le scandale d'une liberté présociale (sa féminité) voire préhumaine (tentation de jeter le bébé aux égouts dans Le Kid), dont on peut jouir en s'en disculpant par le rire.
- Extérieurs : la norme, la répression, la différence ou la concurrence sociale, les dangers naturels. Ils ne sont pas entièrement communs aux deux sexes, puisque la différence sexuelle les dissocie dans ses attendus sociaux. Cependant, pour qu'il y ait rire, il ne suffit pas que ces dangers soient nommés. Il faut encore qu'ils appartiennent à la communauté des rieurs, s'assortissent de procédés spécifiques comme l'ironie, l'ellipse, le jeu de mots, l'outrance énonciative (ex. l'emphase) ou discursive, le décrochement de niveau de langue (André-la-Poisse est burlesque, pas André-la-Déveine), voire l'imitation, ou s'accompagnent de signaux de risibilité : prononciation étrangère, rupture de ton, scansion rythmique ou gestuelle. Ainsi, dans le jeu comique suivant fondé sur la légère peur raciste latente à laquelle nul n'échappe vraiment (car nous avons tous des réflexes primaires de groupe) : "Un noir dans une superbe voiture blanche", exige pour être tout à fait comique cette scansion signalétique : "Un noir dans une superbe voiture... blanche".
FÉMININ
Définir un humour féminin, c'est d'abord s'interroger sur la féminité. Qu'est-ce que la féminité ? J'aimerais, avant de reprendre certains acquis du modèle scientifique en gestation, ne pas éluder ma subjectivité d'homme à cet égard, dans l'espoir qu'elle manifeste des intuitions sur la différence sexuelle, qui souligneraient la perfectibilité du modèle.
Je ne puis définir la féminité qu'à travers l'amour que j'ai pour une femme, le simple désir ou tout autre motif ne tenant qu'à un être partiel et transitoire. Cette femme que j'aime, je peux l'aimer car elle est si différente de moi, qu'étrangement je la perçois comme appartenant à une autre espèce que la mienne. Il y a littéralement une différence animale, dont la sensation semble relever d'un instinct éminemment ancien dans l'ordre phylogénétique. Ce qui n'empêche pas une différence proprement humaine dans la façon qu'a la femme de se poser dans le monde et de se comporter avec les autres humains, impliquant a priori un humour spécifique. Mais cette différence n'est pas d'inconnu radical, pour autant qu'elle m'est nécessaire, sans que j'en sache exactement les raisons. Loin donc de déclencher en moi un sentiment de peur, elle m'apporte une absolue paix à s'offrir en complément de mon être en son plus nécessaire destin.
N'imaginons pas qu'il soit plus facile de donner un sens scientifique à la féminité, tant son concept demeure lesté d'idéologie. A-t-on même le droit de généraliser non seulement devant l'infinie diversité propre à la reproduction sexuée des individus, mais aussi en tenant compte de tous les aléas du développement auxquels est soumise la libido féminine ? Généraliser est plus qu'un droit, c'est un essentiel vecteur de la dynamique du devenir de l'hominidé appelé sapiens sapiens. S'en est fini de la prédominance de la force musculaire sur l'esprit depuis des dizaines de milliers d'années. Les productions de l'esprit sont devenues le moteur de l'évolution : la connaissance, donc la généralisation, est une fonction humaine centrale. Il demeure certes toujours une contradiction entre le concept et la singularité concrète de notre expérience. Mais ils ne sont pas à placer au même plan, seul le concept (général) étant scientifiquement pertinent. Il s'agit en l'occurrence de dégager ce qui découle des conditions de la féminité, sans ignorer la réalité des structures combinées ou inversées.
Le concept scientifique, qui a pour fin la connaissance objective, entre toujours en conflit avec l'idéologie, dont le moteur est au contraire d'ordre imaginaire. Ainsi avons-nous connu après 68, une remise en cause de la féminité comme notion idéologique justifiant le servage des femmes. Le plus célèbre des aphorismes : "On ne naît pas femme, on le devient", qui sert de raccourci au Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, risque là de prêter à confusion, car il laisse supposer une définition exclusivement culturelle de la féminité, méconnaissant le facteur génétique. C'est comme si l'on déniait à l'apprentissage de la parole, appartenant à la culture humaine, les prédispositions néocorticales qui en sont la condition biologique sine qua non. La condition féminine est bien d'abord déterminée génétiquement, et il ne faudrait pas dissocier l'apparence anatomique, du système neuro-endocrinien notamment, corrélatif d'un comportement spécifique, sur la base duquel la personnalité va se développer en interaction avec le milieu familial, qui représente la société.
Y a-t-il donc un mode du développement spécifiquement féminin ? C'est ici qu'intervient avec l'incontournable Œdipe la nécessité d'un recours à la psychanalyse. Entendons-nous bien : non de la psychanalyse clinique, discipline médicale qui a pour but de soulager les souffrances, mais de la représentation conceptuelle qui en déplaçant radicalement l'angle de vue des sciences humaines (effet épistémologique), permet, par sa capacité à recouvrir la totalité complexe de la vie psychique humaine, de rapporter chaque comportement au modèle général qui le subsume (effet scientifique). On peut donc revendiquer à bon droit l'usage de l'outil psychanalytique à des fins anthropologiques. Le rire et ses causes ne sont pas des thèmes médicaux mais des thèmes anthropologiques. Mieux les comprendre, c'est progresser dans la connaissance du fait humain.
Or, la psychanalyse permet de conclure que la femme est en butte à des dangers intérieurs et extérieurs spécifiques :
Dangers intérieurs
a) La rupture œdipienne précoce avec la mère (au contraire du garçon qui restera toute sa vie marqué par une séparation problématique), jointe sans doute à un déterminisme génétique, engendre une autonomie fondamentale plus grande que celle de l'homme d'où découle le caractère sans concession, mordant de l'humour féminin, affectant notamment son énonciation, ainsi qu'un dépassement plus franc que chez le garçon de la libido prégénitale qui rend, entre autres, la femme insensible au comique scatologique ou sexuel grossier si nécessaire à la cohésion des groupes masculins pré-adultes ou presque. Elle apparaît donc bien équipée pour faire entendre une voix discordante dans le consensus phallocratique et s'opposer non par la violence, qui est apanage masculin, mais par l'insolence aux valeurs les mieux assises de la société. Cette liberté se donne néanmoins rarement libre-cours dans les pays riches où elle se trouve inhibée par l'illusoire sécurité d'un système de valeurs masculines.
b) L'autonomisation précoce s'accompagne d'une profonde frustration affective, qu'accentue l'"avantage" anatomique des frères. D'où une tendance de la femme au doute quant à son pouvoir de séduction(2), qu'elle cristallise le plus souvent sur les disgrâces réelles, fantasmées ou provoquées (par l'anorexie ou par la boulimie) de son corps.
Ce doute a pour corollaire une capacité au cynisme à l'adresse des concurrentes, surtout plus belles ou plus jeunes ("tu as mis tes bas résille ?" persifla une personne bien intentionnée à l'adresse d'une belle parente crottée sous l'averse). Le cynisme antiféminin s'exerce chez certaines humoristes notamment par l'imitation grotesque de types féminins, ou bien il est traité comme thème comique en soi par autodérision féminine.
c) La maternité potentielle ou effective engendre un comportement spécifique. Il ne s'agit nullement d'invoquer l'"instinct maternel", notion idéologiquement très marquée, mais de prendre acte de ce qu'une fonction aussi fondamentale pour la survie de l'espèce ne peut être soumise aux hasards de l'historicité des valeurs. L'instinct de protection des petits est néanmoins établi par les travaux de Konrad Lorenz, révélant le caractère "mignon" comme son signal, identique chez les animaux et l'homme, ce dernier étant sensible aussi bien à l'appel ou à la séduction des bébés animaux (ce qui indique du reste un instinct commun aux deux sexes). Mais en outre, la sexualité est plus sérieuse pour une femme que pour un homme, parce qu'elle s'associe plus nécessairement - consciemment ou non - à la procréation. Raison de plus pour que soit dépassée la prégénitalité, et bannie la grossièreté perverse polymorphique. Surtout, l'investissement maternel effectif ou potentiel, implique une restructuration des valeurs autour de la capacité d'aimer(3), l'amour étant non seulement la seule puissance à hauteur de tâche maternelle mais aussi le terrain indispensable au développement de l'enfant.
Dangers extérieurs
La différence sexuelle est un danger potentiel pour la femme dans la mesure où le moteur de l'action masculine s'apparente beaucoup plus à la probation, à la compensation voire à la vengeance que le sien propre. Pour des raisons que certains disent génétiques : il n'y aurait pas de comportement viril naturel, il serait entièrement à la charge de l'aspirant mâle, incessamment sommé par la société de prouver sa virilité. Mais surtout à cause d'un Œdipe sans vraie rupture comme l'est celui de la petite fille : d'où autonomie problématique, d'où volontarisme et même vengeance dans le cas d'une mère "terrible". C'est pourquoi bien souvent le comportement masculin se règle sur la volonté de pouvoir et s'identifie à la violence. L'homme s'imagine ainsi gagner enfin la légitimité qui mettra un terme à l'épuisante démonstration du mirage de sa supériorité. Ce qui définit un thème de dérision spécifiquement féminine (quand ce n'est pas la femme qui prend le pouvoir elle-même à la maison, ou qui illustre les valeurs masculines au-dehors). On se moque, de préférence dans un esprit de connivence féminine, de la lourdeur, de la suffisance, de l'exibitionnisme, de la prétention à séduire, bref de l'infantilisme de l'homme, et de la fragilité des prérogatives masculines. Ce qui n'est pas à comparer à l'humour misogyne des hommes, procédant lui d'un désir de vengeance inconscient, alors qu'on a affaire ici à une forme de lucidité.
De même, l'appropriation masculine entraîne une compulsion de maîtrise sémantique qui le rend moins apte à l'allusion que la femme préférant à l'intellection, la sensation du sens. De là son goût pour la connivence et un don féminin de l'ellipse favorable à l'humour le plus fin.
Enfin, le statut d'objet sexuel public que se plaît à lui décerner la société phallocratique, lui inspire l'instauration d'un contre-pouvoir par le grotesque provocateur (qui trouve ici une motivation actuelle) par la laideur, la masculinité, la vulgarité, la perversion, confisquant à l'homme un corps qu'il s'est imaginairement approprié, tout en le séduisant par ce dérèglement qu'il n'est pas sans confondre avec une invite érotique. Car ce comique de caricature est en réalité l'auxiliaire anodin, la pommade du cynisme antimasculin, qui ainsi passe mieux auprès du public concerné.
ANNE ROUMANOV
C'est peut-être la plus femme des humoristes françaises, et aussi parce qu'elle bénéficie pour ses textes et sa mise en scène, de la collaboration d'une femme, qui est sa mère. Sur scène, elle semble n'avoir rien à prouver(4). Léger accent méridional doucement familier, timbre volontairement fragile, air simple, geste calme, tout concourt à une présence qui ne se projette pas au-devant d'elle-même pour recueillir l'approbation (ou la désapprobation) du public, comme celle hurlante de Dupontel ou frénétique des Inconnus, mais s'irradie de tendre gentillesse. C'est l'amour d'autrui finalement qui prend chez elle le pas sur toutes choses. Son sérieux tout de sérénité, marque une absence de complaisance narcissique infantile, excluant le moindre glissement des motifs sexuels vers la grossièreté. Mordante sans être agressive, sachant au besoin caricaturer l'homme viril ("le genre épanoui par le sport") sans s'engager dans une guerre des sexes supposant des valeurs masculines, elle est plus nettement inspirée par le thème de la condition féminine. Mais son cynisme antiféminin, comme sublimé par l'élargissement comique, est absolument dépourvu de méchanceté.
Le mode comique de cette forme de dérision consiste en une imitation de différents types psychosociologiques féminins : la pète-sec, la dragueuse, la secrétaire incompétente, la mère de famille un brin populacière, la petite intello angoissée, la bureaucrate africaine, la dactylo, la lycéenne nullarde, la femme politique, la snob, la mamie, la mère pied-noir, etc. L'imitation, sorte de remise en question de la catégorie d'identité, en faisant surgir le danger précognitif, celui d'une régression à une démarche interdite sous peine de désocialisation, relativise le contenu cynique. A moins que ce dernier ne soit oblitéré par le burlesque, comme dans ce portrait de la coquette, enchantée d'être enceinte parce que ça fait maigrir (trait négatif), le bébé lui "aspirant la cellulite de l'intérieur" (trait burlesque par sa naïveté précognitive).
Un autre procédé est le discours rapporté, et sur un mode caricatural, mettant le cynisme à distance : "Qu'est-ce que t'as grossi !" s'exclame sur un ton à peine populacier une femme rencontrant une amie enceinte. "Ça fait carrément grosse vache ! Quand je pense à toutes ces années que t'as passées au club de gymnastique pour rien ! Tous ces bourrelets qui s'en iront jamais !". Ce genre de vacherie et autres travers, Anne Roumanov en fait ses délices, comme si leur dépassement par la dérision rehaussait sa propre condition de femme.
On a en même temps, s'agissant du motif de la déformation du corps, affaire à du pur humour féminin, procédant d'une forme de terreur propre à la femme, celle de ne plus mériter l'amour pour avoir perdu son pouvoir de séduction. La phobie de la cellulite inspire donc à Anne Roumanov ses traits de dérision - qui sont aussi autodérision - les plus personnels. Ne dissimule-t-elle pas ostensiblement ses rondeurs sous une ample tunique rouge fendue sur les côtés pour envelopper sans s'y plaquer des hanches déjà absorbées dans le noir d'un caleçon. Dans "La Tragédie du gâteau", la dérision parodique (de la tragédie classique) se mêle au burlesque ("Je ne t'écoute pas, gourmandise traîtresse,/Va donc, pars très loin, ennemie de mes fesses") pour résoudre dans la rigolade bon enfant la tragique obsession féminine du corps informe emblématisant la frustration d'amour.
Cependant, s'il est un aspect où la féminité d'Anne Roumanov ne donne pas toute sa mesure, c'est peut-être celui de la dérision sociale, qui n'est pourtant jamais vraiment absente de ses sketches. Dérision de l'incompétence des politiques en matière de crise de l'emploi : "Le "chômage", n'ayons pas peur des mots !", ânone la candidate aux élections, ou bien il est question du "travail au demi-SMIG à plein temps", ou encore de la demande du marché du travail en matière de travailleurs incompétents (donc mal payés). Dérision du pouvoir de l'argent et du cynisme des banques, par un détournement de leurs slogans publicitaires ("Votre argent m'intéresse, mais pas votre découvert", prononcé avec l'accent de l'Ouest parisien), qui s'élargit à une critique de la société de profit avec la mamie offrant à son petit-fils aux abois un chèque de 30000 frs, non sans protester ainsi de sa générosité : "l'argent, on peut pas l'emporter au paradis !". Dérision des institutions également, du bureaucratisme de la Sécurité sociale, comme de l'impuissance de l'ANPE. "C'est la première fois que je trouve du travail à l'ANPE", chuchote cette couturière à qui l'employée (noire) vient de glisser les coordonnées d'un emploi ... au noir.
Tout cela est bel et bien grinçant, mais n'exclut pas le malentendu, à se prêter au rire quelque peu poujadiste de ceux qui s'en prenant aux apparences, restent sourds aux causes profondes. Combien vont rire de la femme-cadre bancaire un peu chochotte (par haine de classe) sans dénoncer les injustices financières en général (associées aux différents scandales mettant en cause les puissants), râler avec la pauvre victime contre le bureaucratisme administratif, arbre cachant la forêt d'un pouvoir aux mains liées par des contingences étrangères au bien-être général, ou en s'attendrissant sur la générosité de la mamie, y manquer la profonde dérision de tout système de valeurs qui évacue le sens de la mort ?
CONCLUSION
Haut de pageLa féminité n'est donc pas seulement fantasmatique ou idéologique : elle constitue une modalité du fait humain, lequel englobe la fonction du rire. Ce qui entraîne qu'on ne peut parler d'un humour exclusivement féminin, mais d'une modalité féminine de l'humour.
S'il fallait définir la valeur socioculturelle de cette modalité, je retiendrais la dérision sans concession (mordant, insolence, grotesque) au service de l'amour humain. Il s'agit en bref d'un humour qui a le cran de se jeter au cœur du danger pour dénoncer tout ce qui se dérobe à l'essentiel du devenir humain. C'est suffisant pour que les reines du rire se passent du concours des hommes dans la réalisation de leurs sketches : je regretterai toujours quant à moi ce genre de compromis, qui me paraît le signe d'un refoulement de la féminité. Comme si l'on craignait que les hommes ne comprennent pas. Or tout humour abouti secrète ses propres repères psycho-sociologiques, qui sont les conditions de base de son décryptage. Au-delà, aucun des traits de l'humour féminin ici répertoriés ne déroge aux mécanismes de l'humour en général. Ceux qui ne veulent comprendre sont ceux qu'arrange bien leur surdité élective à la voix féminine. Celles qui n'en prennent acte ne sauront jamais quelles richesses d'imaginaire humoristique elles portent en elles. Il demeure qu'encore insuffisamment détachées des valeurs masculines, les femmes donnent rarement toute la mesure de leur pouvoir de dérision.
NOTES
1 Publié dans les Cahiers de Recherche de CORHUM-CRIH n°3, "Humour et différence sexuelle" 1995, Université Paris 8. Retour
2 Doute qui est source d'un malentendu de plus entre les sexes, la femme cherchant pour se sentir aimée à séduire l'homme qui dans le même temps n'aspire qu'à se valoriser. Retour
3 Seule une femme pouvait recueillir le héros désocialisé de L'Argent de Bresson, et l'aimer (maternellement) jusqu'à se laisser assassiner par lui. Retour
4 Contrairement à la grande humoriste Muriel Robin, qui ne paraît pas vraiment dépasser ses doutes sur elle-même, et qui du reste tend à privilégier le non-sens, qui n'est pas spécifiquement féminin. Retour