CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


sommaire contact auteur titre année nationalité



Otto PREMINGER
liste auteurs

Rivière sans retour (River of No Return) USA VO Scope Technicolor 1954 91' ; R. O. Preminger ; Sc. Frank Fenton, d'après Louis Lantz ; Ph. Joseph La Shelle ; M. Cyril Mockridge ; Chansons Lionel Newman ; Pr. Stanley Rubin/Fox ; Int. Robert Mitchum (Matt Calder), Marilyn Monroe (Kay), Rory Calhoun (Harry Weston), Tommy Rettig (Mark Calder), Murvyn Vye (Dave Colby), Douglas Spencer (Sam Benson), Arthur Shields (le prêtre). 

   Débarquant dans "Sodome et Gomorrhe" selon l'expression d'un prêtre croisé là, un inextricable village de toile de chercheurs d'or, Matt Calder vient récupérer le petit Mark, son fils âgé de neuf ans, qu'il connaît à peine. Le garçonnet a perdu sa mère alors que le père purgeait une peine de prison pour avoir abattu un homme dans le dos. Mark fait ses adieux à la chanteuse de saloon Kay, qui s'est occupée de lui. Ayant gagné la ferme isolée au bord d'une rivière tumultueuse baptisée par les Indiens "the river of no return", ils se trouvent bientôt secourir le radeau en perdition sur lequel ont pris place Kay et son amant Weston : un joueur professionnel impatient de joindre Council City pour faire enregistrer une concession gagnée aux cartes dans de douteuses conditions. Weston assomme Matt, qui refusait - les Indiens étant sur le sentier de la guerre - de lui vendre son cheval et son unique fusil. Sans aucun scrupule à laisser le fermier et son fils sans défense, il presse Kay de monter en croupe. Elle préfère rester pour protéger l'enfant.
   Peu après
en radeau le trio fuit une horde d'Indiens qui incendie la ferme. Soumis au double danger des flots et des Indiens furieux, le voyage dure plusieurs jours riches en événements, qui font évoluer chacun des personnages. Pendant une halte nocturne, Kay n'hésite pas à se mettre avec ses compagnons à la merci des Indiens en tentant de désamarrer le radeau vide pour empêcher la vengeance de Matt. Celui-ci le rattrape in extremis. Une dispute s'ensuit au cours de laquelle Kay laisse échapper qu'elle connaît son passé, sans avoir remarqué la présence de Mark. Le père a beau expliquer qu'il a dû tirer dans le dos pour sauver un ami, le fils marque le coup. Une autre fois, aux prises avec un puma, Matt est sauvé par deux inconnus. Ils poursuivent Weston dont la concession était la propriété de l'un d'eux. Une bagarre éclate dont Kay est l'enjeu. Matt l'emporte, y gagnant un fusil grâce auquel il pourra défendre le radeau contre d'autres escarmouches indiennes.
   Il ne s'est pas privé entre-temps de voler un baiser à Kay qui se défend farouchement. À Council City elle tente en vain de raisonner Winston. Avec l'énergie de la rage à conserver sa mine il fonce sur Matt. Il a le dessus mais est abattu dans le dos par Mark avant d'avoir pu tirer. Après avoir consolé l'enfant, Kay retourne au métier de chanteuse de saloon. En plein spectacle, Matt l'enlève sur ses épaules. Elle se débat, exigeant de savoir où il l'emporte. "At home" répond-il (comme Eric à June dans Fallen Angel), l'asseyant vigoureusement sur le siège de la carriole à côté de Mark. La chanteuse jette le seul bagage qui accompagna tout son périple, la paire de souliers de scène à talons rouges. 

    Les stéréotypes du genre, qui constituent chez d'autres (voir John Ford) le fond même de l'œuvre ne sont ici que le support d'un enjeu global, au point qu'on les remarque à peine, même quand ils sont tout à fait grossiers comme la musique sursignifiant les diverses situations : menace indienne (chœurs de trompettes lourdement rythmés au tambour), intimité du foyer (violons), ambiance sentimentale (harpe).
   Dans une polychromie des plus sobres, la beauté du décor naturel canadien, omniprésent grâce au Scope, va de pair avec la chaude intimité des chansons de Kay : elles composent un monde faste où le destin commun de Matt, Marc et Kay est d'avance tracé. Il en résulte un clivage entre le comportement machiste de l'homme et son sens profond : le brutal despotisme du geste final ne fait que répondre à la nécessité supérieure du bonheur inscrite dans l'univers du film.
   La "Rivière sans Retour", c'est le temps (irréversible) de l'apprentissage c'est-à-dire, celui où les protagonistes prennent conscience de leurs erreurs pour s'engager dans la voie de l'accomplissement des aspirations véritables. Avec la mort de Weston s'abolit la facticité des rêves de belles toilettes et de séances d'opéra de Kay. Matt (R. Mitchum : Galerie des Bobines) est enfermé dans la carapace de l'homme rude qui doit se défendre contre la nature et la société. "La beauté est à fleur de peau" bougonne-t-il à propos de Kay. Lorsque, avec un détachement médical, il la frictionne nue sous une couverture, il ne se rend guère compte du trouble de la jeune femme. Mais cet érotisme de cinéma, au sens le plus vulgaire, est l'émergence visible de l'amour en gésine. Il promet la découverte d'un être intérieurement aussi beau qu'en surface. Le petit Mark apprend que la morale repose sur autre chose que les stéréotypes culturels. La famille va se fonder contre vents et marées sur la base d'une réévaluation des valeurs.
   Un western parmi les plus accomplis. 28/12/03
Retour titres