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Quand passent les cigognes Titre original : Les grues volent (Letjat žuravly) URSS VO N&B 1957 95' ; R. M. Kalatozov ; Sc. Viktor Rozov ; Ph. Sergueï Ouroussevsky ; Déc. E. Svidetelev ; M. Moiseï Vainberg ; Pr. Mosfilm ; Int. Tatiana Samoïlova (Veronika Alexeïevna), Alexeï Batalov (Boris Fiodorovitch Borozdine), Vassili Merkouriev (médecin-major Fiodor Ivanovitch Borozdine).
Veronika et Boris s'aiment éperdument sous le signe du retour des grues en ce printemps moscovite de 1941. Mais l'amoureux s'engage et part le jour de l'anniversaire de celle qu'il surnomme l'"écureuil" en raison de sa ressemblance avec l'adorable animal. Mais ayant manqué le départ, elle reste seule avec le petit écureuil en peluche que lui a fait remettre Boris. Chaque jour Veronika attend en vain une lettre. Ses parents meurent dans un bombardement. Elle est adoptée par ceux de Boris chez lesquels vit également Mark, le cousin de celui-ci, un compositeur dispensé de conscription pour cause de talents artistiques.
Celui-ci lui fait une déclaration d'amour puis à la faveur de la tourmente d'un bombardement qui les laisse seuls dans l'appartement, la viole. Ils annoncent à la famille qu'ils vont se marier. Entre-temps, Boris est tué sur le front mais porté disparu sans que l'on sache s'il est encore de ce monde. On découvre que Mark est un scélérat qui a acheté sa dispense et trompe sa femme : le mariage chavire tandis que Veronika continue d'espérer une lettre du front. Elle adopte un garçonnet perdu de trois ans prénommé Boris, auquel elle a sauvé la vie. À la fin de la guerre, Veronika est à la gare, munie d'un énorme bouquet, au retour des troupes. Elle apprend enfin de Stepan, un camarade de Boris, la mort de son amour mais s'étant ressaisie sous l'effet des paroles d'espérances que Stepan adresse à la foule, elle distribue les fleurs autour d'elle, tandis que passent les cigognes (grues) annonçant le renouveau du printemps. CQFD.
Mélodrame khrouchtchévien témoignant du dégel qui concédait de l'air à l'individu au sein du social. La propagande politique s'y fait donc beaucoup plus subtile que dans la tradition officielle. De fait ce film ne développe un drame individuel qu'afin de mieux exalter l'idéologie du parti, de façon suffisamment habile pour en dresser l'alléchante vitrine à l'intention de l'Occident : la Palme d'or à Cannes atteste que l'opération réussit.
L'apparente prouesse artistique dissimule en effet d'énormes ficelles à gogos. Les larmes du mélodrame délivrent toujours, momentanément, le spectateur de ses angoisses ordinaires. D'où le risque que la cause de cette délivrance soit ramenée à quelque intérêt étranger à l'art. Le support mélodramatique est ici tout entier dévolu au personnage de Veronika que la photo, par force gros plans de tous angles ou encore cadrages aptes à capturer la vivacité physique, ne se lasse jamais d'identifier à l'une des petites bêtes les plus gracieuses du globe. Innocence totale donc, à laquelle le pauvre spectateur bourré de doutes quant à la sienne propre va s'abreuver comme d'une source fraîche dans le désert, sans se douter qu'il se condamne à accepter tout ce qui lui est solidaire.
Cependant, la contemplation de l'idéal n'étant pas assez sûre par elle-même pour accrocher le public, celui-ci est gavé d'effets : lumière superlative, caméra toute en élans et tourbillons, musique romantique, surimpressions tournoyantes, voilages palpitants, travellings d'accompagnement au long des barrières avec distorsions stroboscopiques : à la limite de la vulgarité. Voici pour le pathos.
Quant à l'idéologie elle se résume dans la personne du médecin-major, sorte de personnification de la providence étatique. Cadré comme le Sauveur en gloire, il est toujours présent au bon moment pour dénouer la crise morale, et c'est lui qui vient prendre l'Écureuil sous son aile à la fin, le regard levé sur le vol de grues (cigognes). Quelques authentiques instants d'inspiration lyrique vite étouffés témoignent d'une censure de la créativité par l'opportunisme politique, économique, esthétique.
En tout état de cause cependant, le cinéma occidental actuel, qui étouffe sous le sacro-saint naturalisme dominant, gagnerait à se refaire une virginité en s'accordant quelque rafraîchissant retour au mélodrame. 24/08/03 Retour titres