liste auteurs
L'Étudiant de Prague (Der Student von Prag) All. Muet N&B 1913 85' ; R. S. Rye et Paul Wegener ; Sc. Hanns Heinz Ewers, Alexander Moissi ; Ph. Guido Seeber ; Pr. Deutsche Bioscop GmbH ; Int. Paul Wegener (Balduin), John Gottowt (Scapinelli), Grete Berger (comtesse Margit), Lothar Körner (son père), Lyda Salmonova (Lyduschka), Fritz Weidemann (baron Waldis-Schwartzenberg).
En 1820 à Prague, l'étudiant fauché Balduin se voit, moyennant pacte, proposer par l'inquiétant vieillard Scapinelli l'échange contre cent mille florins d'or d'un objet parmi tous ceux de sa chambre. Il s'empresse de signer. Scapinelli désigne alors la grande glace murale encadrée, d'où s'échappe le reflet de Balduin avant de disparaître en traversant la porte. Le baron Waldis-Schwartzenberg le provoque en duel pour avoir séduit la comtesse Margit, sa fiancée, dont il n'est pas aimé. À la demande du père de celle-ci, qui le sait meilleur duelliste de Prague, Balduin accepte d'épargner le baron. Mais son double le devance et conduit le duel à sa fatale issue. Le comte lui ayant fermé sa porte, il passe de nuit par la fenêtre dans le salon de Margit. Elle ne résiste pas à ses larmes mais découvre avec terreur que la psyché n'en renvoie pas l'image, laquelle se matérialise sous la forme du double dans la pièce. Á son retour, à demi-fou, il est pris en chemin par une calèche conduite par le double. Il se donne la mort chez lui en tirant sur ledit double. Scapinelli survenant déchire le contrat sur le cadavre.
Passons sur la gestuelle appuyée, bien qu'aussi sobre que possible relativement au cinéma du temps, quand on n'avait pas encore compris le pouvoir démultiplicateur de l'écriture filmique - encore que dans ce film le petit détail puisse avoir un effet disproportionné. Par ex. la comtesse tend la main gauche à l'étudiant pauvre, qu'il n'ose baiser, mais la droite dûment baisée après le pacte qui l'a enrichi. Passons aussi sur les clichés comme la panoplie du parfait petit Roméo avec échelle, balcon et fenêtre toujours ouverte, du reste tournée en dérision par Lyduschka escaladant avec agileté le même mur menant au salon. Négligeons même le rôle de l'étudiant presque quadragénaire, fessu et bedonnant. Tout cela n'est que résidus de l'illusion théâtrale, car le film contribue à la révolution du septième art, à l'exception du montage qui, faute de raccords, technique encore à peine connue, laisse place au plan séquence jouant de la profondeur de champ et du panoramique restreint.
Le récit ne se réduit pas à la stricte causalité linéaire mais se tisse d'instances creusant une profondeur dramaturgique. La vagabonde Lyduschka, toujours présente au bon moment, observant dissimulée ou intervenant au besoin, est en quelque sorte le petit génie de l'intrigue, à laquelle elle donne narquoisement quelques coups de pouce accélérateurs. Son rôle est, de manière informelle, lié à celui de Scapinelli. L'entrée de celui-ci en scène, en calèche à la terrasse du café, qui se vide comme sous un souffle délétère, succède à l'apparition de celle qui semble-là une espèce de fille à soldat des étudiants. Elle remet au baron un objet compromettant, non-identifié, ramassé clandestinement chez la comtesse. On pourrait croire que le récit peut se passer de cette personne et pourtant elle en renforce le caractère fantastique. Furtif lutin, ayant épié le baise-main de Balduin à Margit dont le bras passe à travers la portière du carrosse comtal à l'arrêt, elle saute sur le bâti de l'essieu arrière au moment où il s'ébranle. C'est elle qui a fourni au même le petit bouquet qui va le ridiculiser chez la comtesse face à la gerbe du baron.
L'action de Scapinelli va au-delà du pacte. Toujours derrière les événements, tenant les ficelles du destin de sa victime, cette espèce de Méphistophélès se trouve en sa compagnie avant le pacte, alors que croisant la comtesse emportée sur un cheval emballé Balduin va lui porter secours. Comme si la rencontre induisant le besoin de se renflouer faisait partie du plan maléfique. Le jour du pacte, Scapinelli flaire ironiquement le petit bouquet de la déconfiture abandonné sur la table avant de faire sa proposition si étrangement opportune. Posté sur son passage quand elle se rend nuitamment au rendez-vous du cimetière juif, il salue sarcastiquement Margit, qui se signe, ayant, du reste, auparavant été interpellée puis filée par lyduschka. En somme ce qui fait avancer le récit sont ces ressorts souterrains, fallacieusement incorporés à la fiction.
L'ancienne capitale du Saint-Empire paradoxalement si marquée par la judéité (avant de pénétrer dans le cimetière juif, la comtesse prie et se signe au pied d'un calvaire), en décors naturels, constitue une troisième instance de la profondeur dramaturgique à la fois mythique et tangible, crédibilisant le récit sans en congédier le mystère.
La maîtrise des éclairages permet de dispenser aux choses et personnages la valeur exacte qui convient, sans les écraser. Éclairages nocturnes, lunaires en extérieur ou clairs-obscurs en intérieur. Caméra incroyablement filmique à suppléer au montage abrupt. Voyez l'intérieur du domicile du comte dont la porte ouvre sur la profondeur de la forêt où s'enfonce les chasseurs. Et même une caméra qui ne se contente pas de montrer mais agit. Dans son salon la comtesse cadrée devant une portion de méridienne, la psyché et la porte-fenêtre ouverte sur la nuit, prend connaissance avec un plaisir évident du rendez-vous au cimetière juif où l'on ne pourra être surpris. Un léger panoramique gauche-droite met l'accent sur la porte-fenêtre par où doit pénétrer l'aimé. Puis mouvement inverse venant cadrer ensemble la psyché et la méridienne où elle va s'étendre. Suit un léger retour à droite plaçant l'accent sur la psyché avec amorce de la fenêtre, sorte de malicieuse prémonition de la suite. Truchement envisageant en outre la confusion du propre et du double. Ainsi, entré par la fenêtre, Balduin passe derrière la psyché de la comtesse d'où il surgit comme s'il sortait de la glace puis suit le chemin inverse à l'apparition du double. La science précoce du cadre, on la reconnaît à la conscience du hors-champ. Audace de cette plongée sur le cadavre d'un quart en amorce au bas du cadre, sur lequel tombe la neige du contrat déchiré. À noter le jeu sur la figurabilité linguistique, le passage du mot à l'image, dans le dernier plan de la tombe dominée par un saule pleureur, "Trauerweide", littéralement saule de deuil. 25/11/17 Retour titres