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Clarence BROWN
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La Piste de 98 (The Trail of 98) USA Muet N&B 1929 80' ; R. C. Brown ; Sc. Benjamin Glazer ; Ph. John Seitz ; Pr. MGM ; Int. Dolores Del Rio (Berna), Ralph Forbes (Larry), Karl Dane (Lars Petersen), Harry Carey (Jack Locasto), Tully Marshall (Salvation Jim). 

   1898, ruée vers l'or au Klondike. Parmi divers destins réunis dans une même fièvre, Larry, le Bon, s'embarque comme passager clandestin à San Francisco dans le même bateau que la belle Berna. Celle-ci a tapé dans l'œil lubrique de Jack Locasto, le Mauvais, déjà millionnaire en or et qui retourne à ses concessions. Il s'emploie à circonvenir le couple de restaurateurs avec lequel voyage sa proie comme servante de la future auberge de Dawson. Berna, qu'accompagne son grand-papa aveugle, découvre le clandestin dans leur cabine. Elle lui intime l'ordre de sortir, par signes pour ne pas alerter l'aïeul, ce qui instaure une intimité. Pendant la traversée, Locasto assomme Larry pour un différend à la roulette.
   Ils débarquent sans encombre, mais le voyage à pied sur les terres glacées d'Alaska jusqu'à Dawson fait une hécatombe. Larry se révèle un héroïque soutien. Ce qui n'empêche pas le grand-père de mourir sous une avalanche. Les deux jeunes gens s'aiment. Après six mois d'oisiveté à Dawson où l'or se fait rare, Larry part avec ses associés pour un gisement lointain. Locasto en profite pour rapatrier à ses frais les aubergistes mécontents des affaires. Une complice attire alors Berna, qui est seule et sans ressources, à son domicile où Locasto la viole pour la prostituer. Après des péripéties d'où il ressort que Locasto s'accaparait illégalement les meilleures concessions, Larry revient riche. Berna refuse, par honte, de renouer. Locasto survenant est gravement brûlé par une lampe à pétrole lancée par son rival dans la lutte qui s'ensuit. Il périt dans l'incendie qui se propage, tandis que Larry évanoui est traîné à l'air libre par Berna.

   Le Méchant éliminé, le Bon vengé peut filer le parfait amour avec la Belle réhabilitée.
   Schéma évidemment réducteur, car les qualités artistiques du film sont hors de doute. Commençons par le mélange des genres. Le ton est globalement burlesque sans exclure le drame. La forte présence de Karl Dane (Lars Petersen, un associé de Larry), géant au visage mobile que l'on a pu voir dans
La Grande Parade (1925) de King Vidor, donne force, d'un bout à l'autre (il persiste jusqu'à l'avant-dernier plan du film) à cette donnée fondamentale.
   Cependant le montage de l'Odyssée alaskienne donne à voir une étrange accumulation apocalyptique. Chaque nouvelle épreuve : traversée de l'eau glacée, montagne, avalanches, descente du Yukon en crue, blizzard, etc., semble le comble du destin, car l'on croit le sommet du calvaire atteint à la précédente. Ceci sans craindre de transgresser les règles de la sensiblerie de masse par un réalisme cru. Un jeune resquilleur du train tendrement adopté comme associé par le mécanicien de locomotive devenu chercheur d'or, meurt de froid au bord de la colonne qui gravit péniblement la pente neigeuse. Sur la demande du mécanicien, un camarade de passage accepte de faire une prière, mais il est emporté dans le mouvement de la colonne qui ne peut s'arrêter pour si peu.
   Relevons ensuite le ton épique, non seulement des scènes de foule en plans généraux, mais aussi de la lutte contre les éléments, où alternent habilement les plans, du détail à l'ensemble, ou encore de la colère de Lars qui met à sac le Bureau de l'Or en découvrant la supercherie de Locasto.
   Ce qui n'exclut pas l'imagination dans le registre intimiste. Par le gros plan sur un visage éclairé de façon à illuminer la peau et exalter le regard. En rétrécissant à l'extrême, par exemple, la pupille des yeux clairs de Larry. Ou encore par le cadrage quand il traduit le tragique d'une situation : le viol de Berna n'est pas représenté, mais elle est étendue sur un lit sans montants, perpendiculaire au plan du cadre, la tête reposant presque sur le bord inférieur, les pieds dirigés vers la porte à l'arrière-plan. C'est par cette porte, translation géométrique de l'orifice génital, qu'entre le violeur, tandis qu'au premier plan, les doigts au bout des deux avant-bras dressés de part et d'autre de la tête se tordent atrocement en signe de terreur et de malédiction. 24/08/02
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