liste auteurs
L'Année dernière à Marienbad Fr.-It. N&B Dyaliscope 1961 93' ; R. A. Resnais ; Sc. Alain Robbe-Grillet ; Ph. Sacha Vierny ; Mont. Jasmine Chasney et Henri Colpi ; Déc. Jacques Saulnier ; Cost. Coco Chanel et Bernard Evein ; M. Françis Seyrig ; Pr. Terra Filma, Société nouvelle des Films Cormoran, Como Films, Précitel, Argos Films, Les Films Tamara, Cinétel, Silver Films, Cineriz ; Int. Delphine Seyrig (la femme), Giogio Albertazzi (l'homme), Sacha Pitoeff (le joueur).
Dans un baroque palace où l'on se perd, un homme cherche à persuader une femme qu'ils se sont aimés l'année dernière ici-même ou ailleurs. Elle rétorque n'en avoir nulle souvenance ou plutôt se dérobe face même aux évidences. Il la poursuit inlassablement de ses justifications anamnésiques entravées par un supposé mari, joueur de nim vainqueur à tous les coups. Sauf qu'en fin de compte l'homme et la femme partent ensemble.
La technique littéraire du scénariste, chef de file du Nouveau Roman, commande le filmage.
Il s'agit de la mise en jeu radicale de l'ordre narratif, de sorte que le récit se veut non-fixé, en train de se faire. Le comportement craintif, dissimulateur, versatile, amnésique réellement ou par coquetterie du personnage féminin (comique enfantin quand aux 3/4 du film elle dit soudain "Qui êtes-vous, comment vous appelez-vous ?"), comme le rôle multiple de l'amant : à la fois spectateur extérieur, partie prenante dans l'évolution des rapports et narrateur - quand il se focalise dans la conscience des autres, notamment du joueur, ne cessent de problématiser la marche du récit.
Les éléments de l'histoire eux-même compliquent davantage la donne comme figures et opérateurs de récit. La glace des bassins du parc en plein été se confond verbalement avec les miroirs témoins de la beauté de la femme. Les mêmes qualificatifs sont employés pour désigner l'intrigue amoureuse et le gel : "c'est tout à fait impossible !" Et pourtant si, finalement : un verre se brise comme la glace, ce dont la figure sonore s'accomplit dans le carillon cristallin des douze coups de minuit du départ fermant le film, comme dans la musiquette qui en tient lieu dans la pièce de théâtre privée du début, véritable mise en abyme. Le jeu de mot est même dûment corroboré, quand par exemple le protagoniste-narrateur qualifie la femme de figée, ou que celle-ci participant de la remise en place des repères du décor fait remarquer qu'"il n'y a pas de glace au-dessus de la cheminée. C'est un tableau, un paysage je crois. Un paysage de neige. La glace est au-dessus de la commode..."
Ou bien l'enjeu sexuel de la lutte entre le "mari", champion de nim, et l'amant, perdant apparent, se condense très nettement dans le mot "coup" : "Tous les coups se ressemblent, tous les déshabillés de plume, tous les hôtels, toutes les statues" ironise le narrateur à l'intention de la belle qui refuse de reconnaître aucun fait pouvant accréditer une quelconque liaison jadis avec cet homme.
Il y a néanmoins une logique ordinaire - un état initial, sa transformation et la résolution finale -, puisque, par l'accélération d'un montage, de plus brutalement contrasté, par un accompagnement scandé au tambour, etc., les événements sont pris d'une espèce de frénésie au moment où un basculement va amener le rapprochement définitif de l'homme-narrateur et de l'insaisissable femme, au bout du compte saisie, comme dans la glace. Autrement dit, l'état d'indécision du récit est une rhétorique, qui ne remet pas en cause les catégories de nœud ou de dénouement.
Au niveau proprement filmique cependant, c'est d'abord le faux-raccord qui tient lieu de principe d'indécision. Soit personnage apparaissant aux deux bouts du même travelling ; soit contrechamp substitutif ; soit encore situation donnée reproduite au changement de plan avec raccord dans le mouvement mais substitution de décor et/ou de costume.
Ou bien, un motif donné est répété en variation, comme l'est celui du talon brisé.
Les déplacements dans le décor monumental et glacé sont une vaste métaphore de l'enquête mentale censée conduire à la résolution d'un certain enjeu, qui semble vouloir soulever la question de l'art. La caméra se promène dans des couloirs interminables ou traverse de vastes salons à colonnades, croisant des personnages figés débitant des phrases conventionnelles comme dans un matériau inerte ou pris de figement, ce par quoi la figure de la glace continue de déployer sa polysémie.
La difficulté de la tâche, qui est aussi celle de l'écriture, prend des formes telles que : "c'étaient toujours des murs partout, autour de moi, unis, lisses, vernis, sans la moindre prise...". Son caractère harassant et répétitif : "et une fois de plus, je m'avançais le long de ces mêmes couloirs, à travers ces mêmes salles désertes, je longeais ces mêmes colonnades, ces mêmes galeries sans fenêtres, choisissant mon chemin au hasard parmi les dédales des itinéraires semblables".
S'indique ainsi le caractère inerte d'un matériau qui se refuse à prendre vie. "Je vous aimais vivante enfin" clame le narrateur croyant être parvenu au bout de ses peines. Ce qui présuppose un univers mort, une architecture funéraire, soulignée par les incessants et lugubres commentaires des orgues. Le ton même de la femme est alangui, impersonnel, détaché, en contraste avec le chaud accent italien conférant une intense vie consonnantique à la pierre omniprésente.
L'esthétique reste néanmoins d'inspiration globalement littéraire, instrumentalisant le décor et les personnages au profit d'un dessein extrinsèque, incapable de les transformer en substance filmique. D'où le caractère désincarné, formaliste, des images et des sons, l'absence totale de saveur de ce chef-d'œuvre faussement avant-gardiste, dont les moyens sont au contraire tout à fait académiques. 23/01/09 Retour titres