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Peter BROOK
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Sa Majesté des Mouches (Lord of the Flies) GB VO N&B 91' 1963 ; R., Sc. P. Brook, d'après William Golding ; Ph. Tom Hollyman, Gerard Feil : M. Raymond Leppard ; Pr. Allen/Hogdon/Two Arts ; Int. James Aubrey (Ralph), Tom Chapin (Jack), Hugh Edwards (Piggy), Roger Elwin (Roger). 

   À la suite d'un accident d'avion, des enfants, mâles exclusivement, se trouvent complètement isolés sur une île tropicale déserte. Ralph, le plus débrouillard, prend sous son aile un petit gros à lunettes surnommé Piggy (Porcinet). Une conque marine tient lieu de cor à Ralph pour le rassemblement. Elle servira également de marque à celui qui a la parole en assemblée. Ralph, dont les qualités d'organisateur sont évidentes, est élu chef et Jack se proclame à la tête des chasseurs. Il prend en charge la surveillance du feu, par l'effet loupe des lunettes de Piggy
allumé afin de signaler leur présence sur l'île.
   Mais il préfère entraîner les siens, armés d'un épieu, à la chasse au cochon. Le chef des chasseurs prétend également protéger les autres contre une bête entrevue dans les rochers, en réalité le cadavre d'un parachutiste casqué, promené sous l'effet du vent soulevant la vaste toile. La scission est inévitable entre le parti de Ralph et celui de Jack, retourné quasiment à l'état sauvage. Les chasseurs volent les lunettes donc le feu. Ils tuent le petit Simon, confondu dans l'excitation sanguinaire avec la "bête". Piggy meurt sous un rocher lâché du haut de la falaise. En fuite, Ralph est traqué par enfumage et ne doit la vie sauve qu'au débarquement à point nommé d'un cuirassé.

   Fable philosophique réalisée par un metteur en scène de théâtre, témoignant pourtant d'une authentique filmicité par le cadrage, qui use de toutes les possibilités, et le montage elliptique, chose rare au pragmatisme britanniques, qui tend à filmer des choses intéressantes plutôt que d'intéresser la chose filmique. Voilà en tout cas un film sur les enfants qui évite la mièvrerie coutumière du genre en n'hésitant pas au contraire à traiter de l'enfance sur la base d'une observation si exacte qu'elle en est déconcertante. D'où la puissance de la fable, qui dénonce au fond les méfaits de la force appuyée sur l'ignorance dans toute société qui ne serait pas régulée par le Droit.
   Jack représente le camp de la force. Il possède un poignard, affirme aimer le sang, s'empare des lunettes dont un sens aigu du pouvoir a vu le premier l'intérêt stratégique (l'idée de la loupe solaire est sienne), sa langue est agile. Il sait tirer parti de l'organisation démocratique dans son intérêt propre, exploite la peur ("s'il y a une bête sauvage, nous vous protègerons") et tient le langage de l'idéologie nationaliste en proclamant qu'" il n'y a rien de mieux que ce qui est anglais", en un durcissement de la formule du livre, ou du moins de sa traduction qui dit : "les anglais sont épatants en tout".
   Cherchant au contraire à servir l'intérêt collectif, Ralph est prêt à renoncer à sa fonction si la majorité le désavoue. On voit donc que dans, une situation improvisée, les principes politiques avancés de la démocratie n'ont aucune chance de s'imposer. D'où l'allusion à Belzébuth, le seigneur des Mouches. Elles bourdonnent en effet dans le film.
   Celui-ci reprend fidèlement le récit romanesque de William Golding, mais il pousse la radicalité du propos, en raison de son caractère elliptique, s'ajoutant à la dynamique du montage et au décalage d'énonciation, auquel participe une musique auxiliaire d'un martial ironique sans encombrer abusivement la bande-son. Il est donc en même temps concis et ludique. Encombré de descriptions conduites avec grand sérieux en revanche, le roman ignorait tout jeu d'énonciation qui, en ménageant une liberté de lecture, eût invité le lecteur à une participation active. 23/09/08
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