CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Akira KUROSAWA
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Madadayo Jap. VO 1993 134 ' ; R. A. Kurosawa ; Sc. A. Kurosawa, d'après Uchida Hyakken ; Ph. Takao Saito, Shoji Ueda ; M. Shinichirô Ikebe ; Pr. Daiei, Dentsu, Kurosawa productions, Tokuma Shoten Publishing Co. ; Int. Tatsuo Matsumura (Uchida Hyakken), Kyoko Kagawa (son épouse), Hisashi Igawa (Takayama), George Tokoro (Amaki), Masayuki Yui (Kiriyama), Akira Terao (Sawamura), Asei Kobayashi (révérend Kameyama), Takeshi Kusaka (Dr. Kobayashi).

   Tokyo 1943, le professeur Hyakken prend à soixante ans sa retraite pour se consacrer à ses livres. Ses étudiants, qui le surnomment "or robuste", le vénèrent trop pour se résoudre à la séparation. Ils l'aident à s'installer avec son épouse et continuent à lui rendre visite. Tandis qu'ils fêtent chez lui ses soixante-et-un ans un bombardement détruit la maison. Ne subsiste qu'un minuscule pavillon. Les étudiants décident de lui construire une maison.
   Chaque année on se réunit en banquet pour l'anniversaire du maître. Ayant avalé un énorme bock de bière le professeur s'écrie rituellement "madadayo !" (pas encore !) en réponse à la question "maaddha Kaï ?" ("prêt ?"), d'après un jeu enfantin, mais par allusion à la mort. Au milieu des facéties, des chants et des danses dans une chaude ambiance, le professeur est toujours applaudi pour son humour.
   Mais c'est un personnage sensible et peureux. Il tombe en dépression pour une fugue de chat. Le jour de ses soixante-dix-sept ans, alors que les étudiants sont déjà grands-pères, leurs filles lui font des offrandes de fleurs et leurs petit-enfants apportent un gâteau dont le vénérable maître doit souffler les sept bougies. Ajouté au bock qui a pourtant rapetissé sous le contrôle vigilant du médecin, cela fait beaucoup. Il est pris de malaise, ce qui ne l'empêche pas de s'écrier "madadayo !" Les quatre plus fidèles ex-étudiants l'accompagnent à son domicile, où ils le veillent après avoir aidé sa femme à le coucher. Le vieillard se rêve enfant jouant à madadayo dans les chaumes sous un ciel resplendissant.

   Le film qu'on dit testamentaire de Kurosawa témoigne d'une belle vitalité mais il est dépourvu de la moindre sève artistique. Ce qui veut dire qu'il ne suffit pas d'une dynamique du contenu narratif, reposant surtout sur des scènes de banquet
hautes en couleur.
   En raison d'abord d'un niveau éthique indigent, qu'on pourrait comparer à l'illustration du culte de la personnalité, assorti de sentimentalisme larmoyant. Tout se soumet à ce personnage qui, étant fictif, ne peut qu'être élevé abstraitement à l'idéal. Si bien que le spectateur est invité à adorer un simulacre sur la bonne foi d'autres simulacres. C'est dire que les étudiants et l'épouse n'ont pas d'existence concrète personnelle, davantage : que le monde qui l'entoure n'a pas de réalité en dehors du héros.
   Il suffit d'un éternuement du maître pour que s'échangent des coups d'œil
anxieux. D'un battement de cil complice pour déclencher l'hilarité générale. Le monde social se réduit à ceci : un méchant qui voudrait occulter le soleil des Hyakken en construisant sur trois étages en est empêché par le gentil propriétaire du terrain, qui rompt la promesse de vente. Pire : les anciens étudiants vont le dédommager en secret. L'ampleur du sacrifice peut ostensiblement se mesurer à la misérable baraque de tôle ondulée qui lui tient lieu de maison. L'épisode du chat perdu pourrait être émouvant s'il se jouait sur le symbolique, par des liens sous-jacents courant sous le récit où peuvent librement se croiser tous les enjeux essentiels. Le réalisateur a préféré la solution bateau de plans d'insert de la vision fantasmatique de Hyakken : le malheureux félin peinant dans des ruines sous une pluie battante.
   Ce qui ne saurait rompre une désespérante linéarité, où le pathétique ne s'exprime qu'à travers l'inévitable posture voûtée et le visage grimaçant de souffrance intérieure du papa adoptif du félin. Plus de deux heures d'exercice hagiographique sur un fantoche s'étalent interminablement dans l'abstraction de la durée chronologique. Au total, absence complet de jeu dans le récit donc d'humour d'énonciation (il y a de l'humour mais de personnage et de situation : représenté), absence surtout de cette liberté capable de faire éclater les données de la représentation anthropomorphique en quanta de bonheur spirituel. 26/02/07 Retour
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