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Les Anges du
péché (générique)
Fr. N&B 1943
100' ; Sc. R. Bresson, sur une
idée du R.P. Brückberger ; Dial. Jean Giraudoux ; Ph. Philippe
Agostini ; Cam. Maurice Pecqueux ;
Mont.
Yvonne
Martin ; Son René
Louge ; Déc. René
Renoux ; M. Jean-Jacques Grünenwald ; Pr. Synops-Roland
Tual ; Int. Renée Faure
(Anne-Marie), Jany Holt (Thérèse (Galerie des Bobines)),
Sylvie (la prieure), Marie-Hélène
Dasté (mère Saint-Jean), Paula Dehelly
(mère Dominique), Silvia Monfort (Agnès), Mila
Parély (Madeleine), Louis Seigner (le directeur de prison).
Les
Dominicaines de Béthanie réhabilitent les
criminelles en les accueillant dans la communauté
sans discrimination, avec un délai d'un an de
réflexion avant le prononcé des vœux. La
mère prieure et sœur Dominique, la
maîtresse des novices, vont accueillir Agnès
à sa sortie de prison pour l'aider à repousser
les anciennes fréquentations qui l'attendent.
Elle prend la robe en même temps
qu'Anne-Marie, jeune bourgeoise si motivée qu'elle
abrège la visite de sa mère qui veut la reprendre,
puis brûle lettres et photos. La novice se sent investie de
la mission de sauver une âme endurcie. La sentence qui lui
échoit à la distribution rituelle la confirme
dans sa conduite : "Si tu as entendu le mot par lequel Dieu te
lie à un être, n'écoute plus les autres
mots. Ils ne sont plus que l'écho de celui-là".
Si le caractère passionné et
la sincérité d'Anne-Marie plaisent à
la mère prieure, mère Saint-Jean, la
sous-prieure, est sourdement hostile. Agnès parle de
Thérèse, une détenue insoumise.
Anne-Marie obtient de la mère prieure de l'accompagner
à la prison où elle assiste à une
crise de révolte de Thérèse, mise au
cachot pour éviter toutefois, à quinze jours de
sa libération, l'aggravation de la peine. Avec la
mère prieure, Anne-Marie est présente, en vain,
à sa sortie.
Ayant décliné leur
invitation, la rebelle achète un revolver, tue son amant qui
l'a fait condamner à sa place, puis se fait admettre au
couvent. En la prenant sous son aile, Anne-Marie l'importune.
L'ancienne détenue dresse habilement l'une contre l'autre
celle-ci et mère Saint-Jean. Anne-Marie chasse de l'atelier
le chat noir de la sous-prieure, sale bête qu'on ne caresse
que par-devant sa maîtresse. Laquelle la "proclame" pour
avoir brutalisé un animal. Anne-Marie rétorque en
proclamant d'autres sœurs pour avoir caressé un
animal. Refusant de baiser les pieds des sœurs au titre de
pénitence, elle est renvoyée du couvent,
fût-ce au corps défendant de la prieure.
Tandis que Thérèse est
soupçonnée par la police on apprend qu'Anne-Marie
n'a pas reparu chez elle. On la découvre évanouie
sur la tombe du fondateur de l'ordre où elle vient prier
tous les soirs. Le
médecin la déclare perdue. Elle est confiée à dessein
à la garde de Thérèse dont elle a
enfin compris les véritables raisons, sans avoir
connaissance de l'appel du directeur de prison à la
mère prieure pour l'informer de la culpabilité de
son ancienne pensionnaire. Thérèse prend la fuite se voyant découverte. En se
précipitant à sa suite, Anne-Marie est victime
d'une attaque fatale. Ramenée agonisante, elle n'a pas la
force de prononcer ses vœux. Thérèse le
fait pour elle, qui succombe dès le rituel accompli.
Thérèse lui baise les pieds puis va se livrer en
larmes aux policiers qui l'attendent au parloir. Une sœur
murmure à son passage avec douceur : "A bientôt ma
sœur !".
Par-delà
la construction rigoureuse, montrant la progression d'une intrigue
enracinée dans une représentation de la vie
conventuelle
fort documentée, la gageure bressonienne est
déjà-là tout entière :
s'arracher au
vraisemblable, c'est-à-dire aux représentations
disponibles, pour atteindre le vrai à travers la
transgression
du consensus.
Car il n'existe pas de recette pour
l'accomplissement d'une tâche spirituelle. C'est la passion
de femme d'Anne-Marie qui lui fournit les armes et l'engage toute.
Véritable sentiment amoureux à en juger par
l'hypersensibilité de l'ouïe au coup de sonnette de
Thérèse, qu'on n'attendait pas pourtant.
Anne-Marie fait la lecture pour la communauté, mais elle est
la seule à entendre le signal. Ce qui est scandaleux
aux yeux des bien-pensants, c'est que le service de Dieu passe par
l'humanité la plus triviale. Anne-Marie détone au
milieu des sœurs parce que sa force spirituelle est
profondément incarnée dans l'être tout
entier avec une pureté qu'exprime le refus des
compromissions autant que le visage ouvert, lumineux, souriant. Un
comportement si personnel, entier, emporté, excessif et
même insolent, imaginatif, joyeux, en harmonie avec la vie
des fleurs et des oiseaux semble le contraire de l'image admise de la religieuse. Son orgueil
même, à l'encontre duquel il a
été dit que le dépouillement
était nécessaire à la grâce
finale, fait partie des défauts nécessaires pour
dépasser la foi routinière, incapable d'action.
Par conséquent Anne-Marie entre nécessairement en
conflit avec la règle prise à la lettre et avec
l'autoritarisme bureaucratique de mère Saint-Jean.
Tout indique que c'est là que se tient
le diable, incarné par le chat Noiraud. Il a
notamment dévoré les oiseaux et le crapaud qui
enchantaient l'âme de cette fière enthousiaste de
la foi. Son insolence, à déclarer à
mère Saint-Jean que mieux vaut un peu de
poussière sur ses meubles que sur son âme
(allusion à l'hypocrisie inspirée par le chat),
n'est qu'une arme contre le diable. Celui-ci habite encore
Thérèse dont le baiser
déposé par ordre sur le front d'Anne-Marie
évanouie provoque un affaissement de la tête. Le
diable est à l'aise dans le ronron de l'ordre. La foi
véritable est d'un amour jaillissant. "La seule
règle n'est-elle pas ici celle du cœur ?"
rétorque-t-elle à un autre rappel à
l'ordre de la sous-prieure.
C'est pour rendre sensible ce jaillissement du
cœur et le caractère irrépressible du
mouvement spirituel menant Thérèse à
la grâce que Bresson invente dans ce premier long
métrage ce qui va faire sa grandeur : le
télescopage, l'ellipse, l'effet éclair, pour
aller promptement au cœur des choses.
Dans la première séquence,
il est question d'un taxi. La mère Prieure et sœur
Dominique se préparent. On comprend que c'est pour une
expédition courageuse. En plan d'ensemble, les
sœurs sont réunies en conseil. La
caméra serre sur un voile noir où se surimprime
la lueur grandissante des phares du taxi venant se garer le
long du trottoir de la prison pour ramener Agnès.
Certains faits sont frappés
d'un puissant accent par ce genre de raccourci. Au plan où
des sœurs portent Anne-Marie évanouie vers le
couvent succède en enchaîné celui d'un couloir
où sœur Dominique se hâte en brandissant
devant elle la robe
de Dominicaine, vide comme un spectre, qu'elle va déposer
sur le
lit de la moribonde. Celle-ci ouvre les yeux, les tourne avec peine
vers la mère prieure assise à son chevet. Un
faible
sourire éclaire son visage, qui lui est rendu, radieux, en
contrechamp. Retour champ. La robe frappe les yeux d'Anne-Marie dont
elle baise un coin. L'habit est ici le véritable lien
(métonymique). Il concrétise la
récompense
suprême : la réintégration, mais aussi
l'accomplissement de la mission, au prix de l'union avec
Dieu.
L'ellipse n'est pas seulement affaire de montage, mais aussi de
cadrage.
Ainsi, l'émotion d'un visage ne
procède-t-elle pas d'une pose centrée, mais d'une
capture de passage : les yeux trop brillants et la bouche pincée de la mère prieure
après le départ d'Anne-Marie en fin de plan
après un mouvement du regard vers le haut sont
immédiatement absorbés par un fondu au noir qui
en révèle l'intensité par le
contraste. Le meurtre procède à la fois du
montage elliptique et du cadrage, qui réunit dans un
même carré de lumière
projetée sur le mur à travers la porte ouverte
hors-champ la meurtrière et l'ombre de sa victime. Elle fait feu, l'ombre
projetée s'évanouit.
Mis à part la lourdeur du commentaire
musical, le caractère artificiel du décor
intérieur aggravé par des éclairages
trop artistiques, certaines afféteries du dialogue ou du jeu
des acteurs, défauts que l'on retrouvera encore mais de
moins en moins dans les deux films suivants, et malgré le
reniement de l'auteur, ce film appartient pleinement à
l'œuvre de Bresson, qu'il contribue à
éclairer au futur antérieur. 8/07/05 Retour
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