CINÉMATOGRAPHE 

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Roberto ROSSELLINI
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La Prise de pouvoir par Louis XIV (La presa del potere di Luigi XIV) Fr. couleur 1966 102' ; R. R. Rossellini ; Sc. Philippe Erlanger ; Ad., Dial. Jean Gruault ; Ph. Georges Leclerc, Jean-Louis Picavet ; Déc. Maurice Val ; Mont. Armand Ridel ; M. Betty Willemetz ; Pr. ORTF ; Int. Jean-Marie Patte (Louis XIV), Raymond Jourdan (Colbert), Katharina Renn (Anne d'Autriche), Pierre Barrat (Fouquet), Giulo Cesare Silvani (Mazarin).

   1661, à la mort de Mazarin, Louis XIV alors considéré à vingt-trois ans comme un homme de plaisirs, écarte sa mère et son frère du pouvoir, fait arrêter le surintendant Fouquet, accorde à Colbert sa confiance, annonce qu'il sera l'arbitre de toutes les décisions, conçoit Versailles et son faste pour éviter une nouvelle Fronde en faisant de la cour la cage dorée de la noblesse désormais liée à sa cause par la dépendance financière et sociale.

   Véritable anthropologie poétique ne cédant ni au mimétisme du faste ni à l'imagerie populaire du Roi-Soleil, le film prodigue un point de vue inouï faisant virer à l'étrangeté radicale jusqu'à notre humanité même.
   Les raisons sont multiples : économie, sobriété, y compris dans la démesure, unité de la palette, sensorialité de la dimension documentaire, indiscernable, de la fiction, emploi de la parabole dans laquelle le récit même constitue la figure expressive et le caractère de réalité des événements par la contradiction, la surprise et l'inachèvement.
   On aborde une civilisation fondée sur des matériaux d'origine vivante. Le bois et les textiles. Sensation par le chatoiement des étoffes et la gamme chaude des couleurs du film à l'instar des estampes sur bois. Mais aussi par un son dépouillé dans un espace sonore généralement épargné par la musique parasitaire : froissement des vêtements ou des tentures, grincement des portes et volets, pas sur les planchers au premier plan sonore, différents selon le personnage : celui de d'Artagnan est bien d'un capitaine des mousquetaires.
   Répondant à l'éclairage mat qui fond choses et êtres dans un même univers langagier, le jeu d'acteur du roi est réduit à l'inexpressivité laissant place au potentiel de démesure. Celle-ci s'exprime autant par le détail que par l'ensemble. Le caractère de nécessité de l'enchaînement des actions relève d'une logique de l'aléatoire inspirée du déroulement de la réalité dans le temps. La scène du réveil royal se focalise d'abord sur les chiens qui, matinale
impatience, se dirigent dans la pénombre vers la paillasse de la servante dormant tout habillée à même le sol de la chambre royale. La femme se lève et tire les lourds volets de bois intérieurs qui s'ouvrent en grinçant, puis va à l'alcôve écarter les rideaux un à un, etc. Les actions sont empreintes de la même étrangeté de n'être pas soumises à l'a priori sémantique qui les ordonne toujours déjà au résultat.
   Ainsi le roi se montre inflexible avec sa mère en lui refusant la participation au conseil d'en-haut. Mais ce faisant, contre toute attente, pose soudain sa tête sur son épaule et verse une larme en lui demandant pardon avant de quitter rapidement la pièce. De brusques fondus au noir aussi semblent laisser inachevées les décisions royales, ce qui ne fait qu'en aiguiser le tranchant. Par la stricte étiquette de cour, le plus petit acte revêt l'ampleur d'un théâtre.
   Les mouvements de caméra sont aux ordres comme les sujets du royaume. Mais ils se contentent de rendre compte par un regard au présent qui, à livrer les faits au fur et à mesure, nous force à les intégrer à un ensemble dont le sens est toujours différé. En revanche, leur virtuosité dans la scène de chasse est soumise à la nécessité de montrer que l'animal n'a aucune chance : comme tout un chacun, pris dans les rets politiques du souverain, englobant jusqu'à la mode vestimentaire de cour.
   Ainsi, loin de l'hagiographie ou de la leçon d'histoire, se déploie, grâce à l'art de Rossellini, tout l'étrange univers en son unicité d'un moment de l'histoire rendu pourtant par le temps inaccessible à jamais. 13/11/05 Retour titres