CINÉMATOGRAPHE 

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Robert BRESSON
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Lancelot du Lac Fr. 1974 couleur 85' ; R., Sc. R. Bresson ; Ph. Pasqualino De Santis ; M. Philippe Sarde ; Pr. Mara-Film/ORTF/Gerico Sound ; Int. Luc Simon (Lancelot), Laura Duke-Condominas (la reine Guenièvre), Humbert Balsan (Gauvain), Vladimir Antolek-Oresek (Artus).

   Les échecs de la quête du Graal et le massacre de tant de chevaliers de la Table Ronde entraînent la morosité à la cour du roi Arthur. Lancelot et la reine Guenièvre s'aiment. Mordred s'est juré leur perte. Les amants décident de ne plus se voir. Lancelot participe anonymement au grand tournoi organisé par les Chevaliers. Il défait brillamment tous ses adversaires mais, grièvement blessé, se retire en un lieu inconnu. Tout le monde l'a reconnu au style. Ayant trahi ses sentiments dans l'affolement, Guenièvre est emprisonnée. Lancelot guéri la délivre. Il soutient l'assaut des chevaliers, mais tue son ami Gauvain. Pour ramener la paix à la cour, le roi accepte de reprendre son épouse. Avec la plupart de ses pairs, Lancelot s'engage auprès du roi contre Mordred qui veut le détrôner. Ils sont décimés dans un guet-apens d'arbalétiers au cœur de la forêt.

   Métonymie ! Nul agencement centré et abstrait du plan. Mais demi-chevaux longitudinalement tranchés, jambes humaines, oriflammes claquant au vent, cadrages du sol sableux, sons hors champ des animaux domestiques et sauvages ou du sang jaillissant des blessures mortelles… Remarquable dans le branle-bas, quand l'agitation générale, la préparation des chevaux, la mise en selle, les courses en tout sens sont cadrés le nez dessus. Odeurs.
   Mais aussi, sombre éclat des choses dans la nuit avec les clairs-obscurs orangés des tentes comme une flamme consumant de l'intérieur ces hommes fiévreux tendus vers une quête impossible (que symbolise en contre-plongée la lumière de la fenêtre géminée de la reine sur la haute tour) ou dépassée comme nous le dit l'imperceptible détente sonore des arbalètes perchées fauchant ces héros alourdis de vain métal. De la forteresse aussi, peu de choses : portes à loquet ou murs gris fragmentaires.
   Il ne s'agit pas de représenter le réel mais de le rendre sensible. Ce tablier de paysanne, ces anoraks suspendus à l'arrière-plan, les jeans noirs des palefreniers, ces collants Intexa sont les médiateurs tangibles d'une époque impossible à vraiment reconstituer mais que l'étude des matières et des couleurs rend palpables, directement par l'ouïe et la vue, indirectement par l'odorat. D'où l'importance du bois brut (hampe que l'on dégauchit au racloir, bruitage des maillets sur les piquets de tente), de la paille, des étoffes (passementeries des harnachements, lainages légers de Guenièvre, satins des fanions vivement colorés que froisse et défroisse le vent), de la terre (terreau de la forêt que baise la jeune paysanne au passage du chevalier, terre détrempée après l'orage).
   Suggérer donc. La diction blanche bressonienne dénonce la prétention à tout exprimer. Comme le mollet du chevalier éclatant de coloris héraldiques pour la complexité de l'univers guerrier, la voix incomplète pointe donc tout le système émotionnel, qui touche à la fin d'un monde.
   Celui de la soif de transcendance (le Graal) d'une humanité immergée dans la glèbe et dans l'animalité. Tel gros plan sur l'œil d'un cheval capte une lueur de conscience n'ayant rien à envier à celle des humains. Des hennissements hors champ semblent toujours attribuer leur sens aux événements. Car le cheval est le partenaire du chevalier, il s'inscrit dans le système des valeurs médiévales. Réciproquement, deux hommes qui se suivent cadrés aux jambes dans une file de chevaux au pas ne dérogent nullement à cet univers. La reine debout de dos dans son baquet est ainsi cadrée des jarrets à la croupe.
   La chasteté de l'amour courtois vise à l'extase spirituelle dans l'éternité. Guenièvre renonce finalement à Lancelot, car, lui ayant "tout donné", elle a épuisé ses forces spirituelles. L'amour se sécularise. De même que l'esprit de chevalerie associé à la guerre sainte est anéanti par les querelles de pouvoir (Mordred) et leur complice, l'arbalète, qui sonne la fin du corps à corps chevaleresque. Un simple archer perché sur un arbre à distance abat comme un vulgaire gibier le grand et saint guerrier qui soutenait l'édifice (Cf. Mémoires de Montluc). Les évolutions cadencées d'une compagnie de soldats casqués soulignent l'importance de la manipulation collective au détriment du développement spirituel, par où l'on reconnaît la crise du vingtième siècle.
   Pour se réinventer, la société n'a d'autre ressource que l'amour. C'est le nom de Guenièvre que porte le dernier souffle de Lancelot. Là réside l'espoir. L'amour terrestre suppose un homme plus tourmenté mais responsable. La révolution humaniste est proche. Elle demeure notre référence et notre sauvegarde. 7/05/00 
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