CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

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Gillo PONTECORVO
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Kapo It.-fr.-yougo VO N&B 1959 116’ ; R. G. Pontecorvo ; Sc. G. Pontecorvo, Franco Salinas ; Ph. Franco Cristalli, Moris Orgas ; M. G. Pontecorvo, Carlo Rustichelli ; Int. Susan Strasberg (Edith/Nicole), Laurent Terzieff (Sacha), Emmanuelle Riva (Terese), Gianni Garko (Karl), Didi Perego (Sofia).

   Edith, jeune juive de seize ans se livre à la Gestapo afin de rejoindre ses parents raflés. Déportée avec eux à Auschwitz elle parvient à s’échapper du bloc réservé aux enfants. L’adolescente tombe sur un déporté médecin qui la sauve en lui donnant avec la livrée l’identité d’une morte non-juive, condamnée de droit commun, pendant que ses parents sont entraînés nus aux douches. « Nicole » est évacuée vers un camp de travail avec les autres délinquantes de droit commun, les moins maltraités des déportés. Pour échapper à la sélection médicale, qui envoie régulièrement les inaptes à la mort, elle accepte de se prostituer aux SS, puis devient « kapo », auxiliaire de l’encadrement répressif recruté parmi les détenus.
   Un jour, arrivent des prisonniers russes pour des travaux de terrassement. Nicole dénonce le beau Sacha qui défendait un de ses camarades. Le Russe est puni d’une nuit de supplice, debout torse-nu et immobile devant les barbelés électrifiés, sous le mirador du factionnaire chargé de l’abattre s’il bouge d’un poil en arrière. Ce qui n’empêche pas, par la suite, l’amour de les réunir en de furtifs instants.
   Nicole prévient les Russes que l’ennemi approchant, tous les déportés sont voués à la mort. Elle accepte de les aider à s’évader, et toutes les femmes avec eux, en coupant le courant des clôtures, ignorant que cela déclenche les sirènes d’alarme. Contre l’avis de ses camarades, Sacha l’en informe. Elle se sacrifie et meurt dans les bras du SS Karl, en psalmodiant une prière hébraïque. Sacha est libre mais anéanti de douleur.

   Film curieusement stigmatisé par certains connaisseurs pour des raisons morales. On cite même Godard au sujet d’une phrase célèbre sur la valeur morale du travelling, idée reprise à propos de ce film par Daney et Rivette, lequel, dans un article paru aux Cahiers du Cinéma (n° 120), n’admit pas que la caméra, par un travelling dit "abject", suivi d'un recadrage en contre-plongée, s’appesantisse sur le suicide de Terese, restée accrochée à la clôture sur laquelle elle s’est jetée. Contre-plongée qui, remarquons-le, n’a pas pour effet de mettre en relief voyeuriste une main inerte (reproche de Rivette) mais surtout, détachés à contre-jour (pas de grimace d'agonie) sur fond de ciel, les barbelés comme thème cardinal du film.
   Ce jugement à l’emporte-pièce, qui semble avoir compromis la carrière d’un film (ne figurant à ma connaissance dans aucun dictionnaire usuel du cinéma) somme toute estimable, repose au fond sur une confusion entre réalité et fiction. En fiction, ce n’est pas le plan qui compte mais la valeur qu’il prend dans l’ensemble. L’ensemble ici le justifie d’autant mieux que le film se montre techniquement exempt de complaisance. La pendaison ou le dépucelage par exemple se déroulent hors-champ. On ne peut, du reste, attribuer de fonction morale à la technique que dans la mesure où le moyen est pris pour fin. Soit qu’il alourdisse le propos par excès d’emphase, soit que, gratuit, il s'expose lui-même comme virtuosité. Deux défauts qui certes n’épargnent guère toujours Kapo (je pense au gros plan du final sur le visage hyper-pathétique de Sacha), moins sans doute dans la scène incriminée qu’ailleurs, en tout cas moins que dans bien d’autres films qui n’ont pas subi un tel démolissage en règle. Riz Amer (1949), par exemple, tourné également par un communiste (De Santis) a, lui, trouvé grâce auprès de la grande critique, qui se montra sensible aux mérites de la cuisse.
   Un des grands atouts de ce mélo est même de nous épargner le manichéisme : le SS Karl ne rejette pas la judéité dévoilée in extremis par la jeune femme. Elle-même associe le Nazi à son propre sort en affirmant dans un dernier souffle qu’ils se sont fait abuser l’un comme l’autre par des mirages. Davantage, Edith ne se serait-elle pas rachetée, comme l’aurait paraît-il voulu le scénario original à l’encontre des producteurs, le cas d’une jeune fille qui choisit le camp de ses propres bourreaux n’est nullement immoral. Soulignant un comportement humain qui est une réponse à une situation traumatique, il approche peut-être davantage la vérité de la souffrance que les modèles héroïques, qui masquent souvent les enjeux véritables à l'avantage du spectaculaire. 30/11/08
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