CINÉMATOGRAPHE 

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Alain RESNAIS
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Hiroshima mon amour Fr.-Jap N&B 1958 91' ; R. A. Resnais ; Sc., Dial. Marguerite Duras ; Ph. Sacha Vierny, Takahashi Michio ; Mont. Henri Colpi, Jasmine Chasney, Anne Sarraute ; Déc. Esaka Mayo, Petri ; M. Giovanni Fusco, Georges Delerue ; Pr. Anatole Dauman/Argos/Como Films/Diaei/Pathé Overseas ; Int. Emmanuelle Riva (Elle), Eiji Okada (Lui), Bernard Fresson (le soldat allemand).        
  
   Une actrice engagée au tournage d'un film sur la paix à Hiroshima noue, en fin de séjour, une brève liaison avec un architecte japonais. Bien que tous deux mariés par amour avec enfants, ils ne peuvent se quitter. L’amant dénie à la maîtresse la capacité de se représenter le désastre que fut la bombe. Apparaît en regard celui, intérieur, de la mort à Nevers pendant la guerre, du premier amour de la jeune Française, un soldat allemand, auxquels succédèrent la tonte revancharde puis un épisode de folie.    

   Évidence d’un enjeu : faire émerger de par l’art le lien entre tous ces éléments, relevant à la fois du texte, des images, et de la musique. On entend par art ce qui engendre une sourde catastrophe langagière, d'ordre émotionnel, source durable de questionnement.
   Tempête de l’âme de la jeune Française pendant la guerre, réactivée par un amour de rencontre. Points communs : l’amour pour l’ennemi et l’étranger lointain. La tourmente extérieure et les vestiges d’une catastrophe encore pire. Au nom d’Éros, la femme identifie à l’Allemand le Japonais qui, par l’anamnèse que déclenche la situation actuelle est témoin d’une autre forme de douleur. Même si le drame intime de la Française et la bombe d’Hiroshima ne sont pas comparables. Car il s’agit de faire naître sous nos yeux un monde limite, ridiculisant celui, à courte vue, dont on se satisfait ordinairement. 
   Monde où les clivages ami/ennemi, Blanc/Jaune, Hiroshima/Nevers, voire légitime/illégitime n’ont plus cours. C’est en tout cas ce qui ressort du très beau texte de Duras. Trop beau pour le cinéma, trop pour ce film surtout, auquel manque la liberté nécessaire : montage académique agrémenté d’enchaînés et de fondus, images illustratives. « Les mains [...] s’écorchent au mur » dit la femme et des mains s’écorchent à l'image. « J’aimais le sang depuis que j’avais goûté au tien. » : la jeune folle du passé lèche ses écorchures. « Quatre étudiants… » : quatre étudiants paraissent à l'image, etc… Cadrage fonctionnel. Éclairages excellents, sans nul effet superfétatoire, sauf quand la surexposition prétend en sous-main rappeler les dix-mille degrés de la bombe. À quelques exceptions près – le tournoiement des scooters sur la place, dramatisant la première échappée de la Française pour la dernière journée de travail, montage-son réaliste et parasité par un accompagnement musical superfétatoire. 
   Celui-ci bien pensé pourtant, quand après un ralenti suspensif il semble relancer le travail de la mémoire sur un mode allègre. Mais, globalement, il y a surcharge dramatisante des vents, de la guitare, des violons. Voire, superposition du texte, des images atroces d’archive et de la musique en montage alterné avec les corps nus des amants : c'est trop ! Mieux vaut ce rapprochement du même élan rythmique donné aux images alternées de l’atrocité et de l’amour. Quoi qu’il en soit la musique domine, écrasant le texte, banalisant les images. Une note tenue de l’orchestre montant en intensité accompagne le gros plan de la main ouverte de l’amant endormi à laquelle fait suite celle du soldat agonisant. La "fosse" laisse alors place au sifflet déchirant d’une locomotive. La loco n’aurait-elle pas suffi ?
   Ce qui manque cruellement surtout est la dimension érotique, cette force propre à faire craquer les cadres, essentielle chez Duras. La beauté photographique des corps du début est plus monumentale que sexuelle, l'effet optique de poussière agglomérée fût-il, dans le contexte, saisissant. Emmanuelle Riva a la raideur de geste et de ton de la petite bourgeoise de province de l’époque. Ce qu’elle doit incarner certes, mais sans brider le corps. La main onaniste plaquée sur le pubis pour illustrer les paroles off « Je n’en peux plus d’avoir envie de toi » : quelle naïveté ! Et la tenue d’infirmière de la Croix-Rouge, qui devait être selon Duras un déguisement, bien entendu érotique, n’élimine nullement la froide distance du secours médical. Que certains  dictionnaires du cinéma (Petit Larousse des films) présentent par erreur Emmanuelle Riva en tant que "l'infirmière" est significatif.
   Au total, ce film séduit par son engagement et l’apparente nouveauté du style si fort saluée par la critique, due surtout en fait à la beauté du texte. Mais à y regarder de près, rien de  nouveau
vraiment ne ressort d’un filmage dépourvu, sauf à l'état d'ébauche et localement seulement, de jeu. 19/02/14 Retour titres