CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Jacques BECKER
Liste auteurs

Goupi Mains-Rouges Fr. N&B 1942 104' ; R. J. Becker ; Sc., Ad., Dial., Pierre Véry, d'apr. son roman ;  Ph. Jean Bourgoin, Pierre Montazel ;  Mont. Marguerite Renoir ; Son Robert Yvonnet ; Déc. Pierre Marquet ; M. Jean Alfaro ; Pr. Minerva ; Int. Fernand Ledoux ("Mains Rouges"), Robert Le Vigan ("Tonkin"), Georges Rollin ("Monsieur"), Blanchette Brunoy ("Muguet", fille de Dicton), Germaine Kerjean ("Tisane", fille de La-Loi), Line Noro (Marie, la servante), Albert Rémy (Jean, son fils), Marcelle Hainia ("Cancan", épouse de Mes-sous et sœur de Mains-Rouges), Arthur Devère ("Mes-Sous", aubergiste, père de Monsieur), René Génin ("Dicton"), Maurice Schutz ("l'Empereur", l'arrière-grand-père), Guy Favière ("La-Loi", ancien gendarme, grand-père de Monsieur), Marcel Pérès (Eusèbe, le gendarme), Louis Seigner (l'instituteur).

   Dans la Charente profonde, quatre générations, toutes branches confondues, vivent sous le même toit, dans une ferme isolée (plan général) assortie d'une auberge, sauf Tonkin, vétéran de la Coloniale qui construisit sa cabane exotique sur le domaine, et Goupi Mains-Rouges, fort caractère tenu à l'écart : sur-mesure pour Fernand Ledoux. L'aubergiste Goupi Mes-Sous fait venir Monsieur, son fils directeur d'un grand-magasin parisien, au vrai, simple vendeur de cravates. Ceci afin de le marier en tant que fortuné croit-on à sa cousine Muguet, qui préfère le cousin Tonkin à un inconnu.
   Pendant que la famille est occupée à un vêlage,
l'arrière-grand-père plus que centenaire, dit L'Empereur, s'empare d'une liasse de dix-mille francs cachée dans l'armoire à linge mais, pris d'un malaise, s'effondre. Tonkin passant par là arrache les billets de la main de L'Empereur étendu au sol, juste avant que n'arrive Monsieur, à pieds dans la nuit, victime d'un mauvais tour de son oncle Mains-Rouges qui devait le ramener en carriole de la gare à douze kilomètres. Effrayé par le cadavre, Monsieur s'enfuit dans la forêt. Auparavant, Tisane, vieille-fille acariâtre menant la ferme à la baguette, a surpris Tonkin en train de s'esquiver. Le corps inanimé à terre et le vol constatés elle poursuit Tonkin en brandissant un fouet, mais tombe sur Pierre, le fils de Marie, la servante, qu'elle vient de congédier. Elle le fouette parce qu'il se refuse à comprendre qu'il doit partir. Tonkin soudain s'interpose. Tisane est assommée à mort d'un coup de bâton, ce qu'on ne saura que tout à la fin, de sorte que c'est Monsieur, dont le peigne est retrouvé sur place, qu'à l'incitation de Mains-rouge la famille va accuser.
   Celle-ci entend
régler elle-même ses comptes, en dehors de la Maréchaussée. Au petit matin on découvre dans les bois Monsieur endormi, et plus loin le corps de Tisane, à proximité duquel Tonkin, qui s'est ravisé, feint de découvrir les dix-mille francs. Mes-Sous enferme son fils dans l'écurie pour lui faire avouer le vol avec violence, dont entretemps la victime apparemment morte s'est réveillée, mais privée de parole. On réalise que la trace d'un trésor caché que conserve la famille et dont le doyen seul connaît le secret est perdue.
   Des sentiments cependant naissent entre Monsieur et Muguet, qui apporte en secret
de la nourriture au prisonnier. Jaloux, Tonkin va dénoncer son rival aux gendarmes. Ils débarquent pour l'enquête. La famille, y compris Monsieur, fait bloc, niant les faits, alléguant une chute de Tisane de la haute échelle. Et l'Empereur retrouve la parole, de sorte qu'il n'y a même plus victime. Ayant cuisiné Pierre, qui s'accusait pour le protéger, Mains-Rouges fait avouer Tonkin dans sa cabane pour l'avoir vu déposer les dix-mille francs à proximité du cadavre de Tisane. Les gendarmes embusqués derrière la porte ont tout entendu. Ils cernent la cabane. Pris d'une crise de paludisme, Tonkin en fuite fait une chute mortelle du haut du grand arbre où il s'était retranché.
   Mains-Rouges annonce bientôt à L'Empereur qu'il a trouvé le trésor, de l'or converti en poids et balancier de la grande horloge. Sous les yeux des autres, le vieillard lui glisse à l'oreille qu'il ne faut le dévoiler qu'à l'article de la mort, au seul Monsieur, qui fera de même pour les descendants, de sorte que le trésor restera dans la famille.
   Alors que, sur le point de déjeuner,
la compagnie attend avec impatience qu'il s'en aille, Mains-Rouges transmet le message du patriarche. Attablé en famille maintenant qu'il est innocenté et va épouser Muguet, Monsieur, passant outre la résistance visible des convives, prend l'initiative d'inviter Mains-Rouges à partager leur repas. L'unité de la famille s'est reformée autour de l'argent.

  
    Avec des réminiscences de La Terre de Zola, tableau d'un milieu social assez mythique car inspiré d'un autre temps si bien dépeint par un Zola fort documenté. Le paysan est rusé (goupi(l)) et son appât du gain le rend méfiant des étrangers. C'est pourquoi on ne se marie qu'entre cousins, vivant groupés pour mieux se surveiller. Tout tourne autour du magot, dont l'existence finalement assurée apaise les conflits. Les contradictions sont solubles dans l'or. C'est bien pâle à côté de la sensualité, de la cruauté et de l'humour de Zola, comme s'il ne fallait pas contrarier le retour à la terre cher au Maréchal. L'unique assassinat est présenté comme mérité. Tisane est un personnage odieux. "Ah ! Saloperie, tu m'cherchais hein ? Serpent !" crache le meurtrier, qui sera d'autant pardonnable qu'il meurt tragiquement lui-même. Les contradictions sont solubles également dans les décrets de la justice divine. Par bonheur Zola n'est pas au générique.
   Monsieur est d'abord considéré comme un étranger, un pied-tendre, par Mains-Rouges qui, avec Tonkin, le terrorise dans la forêt nocturne après avoir simulé une panne de carriole. Le jeune homme paraît en effet de prime abord un gringalet assez mièvre avec moustachette, petit costume étriqué et parapluie. Or il va progressivement s'avérer un vrai Goupi. La primauté du sang complète le mythe. Le petit Parisien se dépouille de son veston et de sa cravate. Le cadrage le fait plus grand et plus fort, chemise blanche et col ouvert, mèche énergique barrant le front.
Il détourne Muguet de Tonkin, son opposé à tous points de vue. En contre-plongée, promenant son regard sur la campagne, il semble toiser son domaine, déjà. L'"étranger" prend même en fin de compte la tête de la famille comme futur détenteur du secret, adoubant Mains-Rouges, qui l'avait sans pitié repoussé au départ.
   Le mérite de Becker se tient dans cette maîtrise du fil rouge, qui permet de maintenir ensemble tous les éléments d'une intrigue complexe dans son devenir.
    Le décor naturel et le clair-obscur y assurent fortement la crédibilité d'un pittoresque un peu effrayant, dédié à la curiosité du public civilisé. Non sans quelque tendance signalétique. Crescendo musical à mesure que Tisane s'approche de la maison où gît l'arrière-grand-père. Zoom-avant sur le visage horrifié devant la scène, les yeux exorbités, jusqu'au très gros plan. Puis mélodie sautillante accompagnant la fuite de Tonkin. De diligents violons
indiquent que perce un autre sentiment quand Muguet repousse Tonkin. À l'image, alors que Mains-Rouges annonce à table que L'Empereur lui a défendu de dévoiler la cachette, zoom avant sur l'horloge, etc. Bref, le spectateur est trop bête pour comprendre par lui-même.  Il faut lui mettre les points sur les i.
   Beau travail, que compromettent fort des complaisances pour un public supposé de veaux.
 19/08/18 Retour titre