CINÉMATOGRAPHE 

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Hector BABENCO
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Le Baiser de la femme-araignée (Kiss of the Spider Woman/O Beijo da Mulher-Aranha) USA-Brésil VO couleur 1984 120' ; R. H. Babenco ; Sc. Leonard Schrader d'apr. Manuel Puig ; Ph. Rodolfo Sanchez ; Mont. Mauro Alice ; M. John Neschling ; Pr. David Weisman Int. William Hurt (Luis Molina), Raứl Juliá (Valentin Arregui), Sonia braga (Leni/Marta/femme-araignée), Milton Gonçalves (Pedro, le flic), José Lewgoy (le directeur de la prison).

  Dans une vaste cellule de prison, sous un régime évoquant la sinistre dictature militaire argentine (1976-1983), alors que, curieusement, les autres cellules sont surpeuplées, séjourne Valentin un détenu politique en compagnie de Molina, condamné pour homosexualité. Ce dernier, en réalité un mouton, doit être libéré par anticipation contre les informations soutirées à son compagnon, que la torture n'a pu fléchir. 
   Mais insensiblement, au fil des petits gestes quotidiens de régulation du stress, se tisse une amitié amoureuse. Molina fait le récit d'un film sur l'occupation nazie en France, traitant du conflit entre l'amour d'une Française pour un officier allemand et son devoir patriotique. Il prend soin sans dégoût de son compagnon souillé de dysenterie à la suite d'un empoisonnement dont il est lui-même complice, destiné à affaiblir la volonté du révolutionnaire. Le mouchard gay interrogé par le directeur étant resté ostensiblement évasif, on le libère pour qu'il conduise au gros poisson. Valentin lui a en effet glissé à l'oreille le numéro de téléphone du contact que la torture n'a pu obtenir. Il est filé et la police surgit au rendez-vous ainsi fixé. Molina est abattu par les amis de Valentin, qui parviennent à s'échapper.

   Un film de la meilleure espèce fait ici, sous nos yeux, la démonstration de l'étonnante capacité du cinéma à briser la structure dogmatique du discours, à conjurer sa vocation à prendre le destinataire dans ses filets. Ce, de par un travail portant sur la tension de l'intervalle plutôt que sur la contention de la matière. Indéfiniment est maintenu l'écart de la contradiction, à ne se résoudre que par la mort, par le baiser létal, bienfaisant, de la femme-araignée.  
   Trois ordres séquentiels échangent leurs valeurs tout en étant l'un à l'autre techniquement étanches. Le huit-clos de la prison, le film et les souvenirs, la réalité extérieure. Au moment du récit de Molina, la sirène annonçant la coupure d'électricité nocturne retentit comme un lever de rideau. Fausse fortuité de la coïncidence entre les faits. Échange donc par analogie avec le film dans le film, mettant en équivalence la dictature militaire et le nazisme d'une part, l'homosexuel et la patriote amoureuse du Nazi d'autre part. 
   Ce qui conduit à déconstruire le dogmatisme des dichotomies ordinaires subsumées par la scission bien-mal, comme celle de la pureté révolutionnaire du résistant et la futilité sentimentale de l'efféminé. La différence sexuelle même s'estompe, emportée par une force humaine supérieure : l'homme viril consentira à une étreinte de pd. Inversant déjà les pôles, le film raconté par Molina pour adoucir les conditions inhumaines de la prison politique est un nanar de propagande nazie. Enceinte d'un officier allemand, la résistante Michèle est écrasée par la voiture du chef de la résistance. Valentin, qui fait passer la révolution avant l'amour, est en fait illuminé par l'image de la belle Marta, qui le guidera en le prenant par la main au pays des morts. Le mouton est un être humain se débat dans ses contradictions humaines. Mais, devant refaire tout le chemin de la subversion révolutionnaire par amour pour Valentin, il devient le seul véritable héros, celui qui n'a pas besoin de doctrine pour se conduire, ayant  à se déterminer à chaque fois autrement. 20/06/18 Retour titres