CINÉMATOGRAPHE 

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Alexeï BALABANOV
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Des monstres et des hommes (Pro ourodov i lioudiéi) Rus. VO 1998 93' ; R. A. Balabanov ; Ph. Sergueï Askakhov ; Son A. Balabanov ; Mont. Marissa Lipartia ; Pr. Sergueï Selyanov : Int. Sergueï Makovetsky, Dinara Drakorova, Lika Nevolina. 

 Saint-Petersbourg au début du XXe siècle. Deux familles bourgeoises, les Radlov et les Staslov, sont la proie de Johann Kel, un dangereux producteur de photos et de films pornographiques, assisté d'un homme de main appelé Victor et de Poutilov, jeune photographe endetté qui pour cette raison est son obligé. Liza, fille de l'ingénieur des chemins de fer Radlov, un veuf, s'intéresse à ces photos où s'exposent invariablement des fesses féminines sous le fouet de la vieille nounou de Johann.
   Ce dernier cependant ayant demandé la main de Liza est brutalement éconduit par Radlov. L'ingénieur couche avec sa bonne Grounia qui est la sœur (secrète) du pornographe. Il meurt d'une crise cardiaque en découvrant des photos secrètes de sa fille. Par testament Grounia devient la tutrice de l'orpheline ainsi livrée au pouvoir de Johann, qui va en faire un sujet photographique pimenté aux verges de Daria, la bonne des Stasov, autre amatrice de photos et amie de Victor. Le docteur Stasov avait adopté des frères siamois asiatiques soudés par la hanche. Daria leur exhibe les photos puis un sein extrait subrepticement du corsage. Ekaterina, l'épouse aveugle de Stasov, tombe amoureuse de Victor qui s'était introduit clandestinement chez elle par passion des monstres.
   Il les kidnappera pour son business propre, qui profitera finalement à Johann. Le médecin éperdu pense retrouver ses chéris adoptifs chez les Radlov. Il y tombe, installé avec sa clique, sur Johann qui l'abat. Ekaterina, Lisa et les siamois vivent comme des esclaves sous la férule de leur exploiteur. Alors qu'il en est amoureux, Poutilov est contraint de filmer Liza dans une position humiliante.
   Mais trop lâche pour la protéger, il s'enfuit un beau jour avec une valise pleine de lucratives pellicules pornographiques. Liza accorde ses faveurs à l'un des siamois pendant que l'autre est ivre-mort. Profitant d'une crise d'épilepsie provoquée par la mort de la nounou, le même s'empare du revolver de Johann et tue Victor. Les monstres s'enfuient vers l'est à la recherche de la maison de naissance de leur prétendu père. Le siamois éthylisé par les soins de Johann meurt. Fuyant au contraire vers l'ouest, Liza recherche dans une maison spécialisée des sensations masochistes pour n'y trouver nul plaisir.

   Excessivement compliquée, l'intrigue s'inspire d'une figure simple : le cliché. Cliché par le thème du double d'abord. Outre l'évidence de la réplication photographique et biologique (les siamois) à laquelle s'ajoutent le leitmotiv d'une locomotive sous les fenêtres des Radlov et un film dans le film contant l'enfance de Liza sous la forme d'un simulacre de muet désuet aux plans séparés par des flashes au magnésium, Victor est un double de Johann, Daria en est un autre de Grounia et aussi de Liza, les deux familles bourgeoises se reflètent réciproquement. Comme si elle ne pouvait trouver sa conclusion qu'avec la fin du dédoublement, l'intrigue se résout par l'épuisement de la spécularité dont la mort d'un des siamois est la version la plus tragique. L'idée du cliché fournit donc un principe de structure.
   Hélas, le mot est à prendre également au sens péjoratif ! C'est le film du cliché par excellence : belles photos en sépia d'un petit vapeur sur la Neva qui semblent du déjà-vu, complaisances pour les grands intérieurs somptueux reconstitués et parcourus par d'amples et souples mouvements de caméra, stéréotypes des personnages inquiétants : Johann, la face impavide, croquant sa carotte crue trempée dans la crème, et Victor arborant un sourire carnassier jaune dans un visage faussement niais. La répétition inlassable des mêmes effets ne fait que ruiner la tentative artistique, que n'arrange guère l'usage immodéré de la musique auxiliaire, notamment de Prokofiev, dans des plans-séquence ainsi artificiellement rythmés et esthétiquement surchargés.
   En bref, entre monstres, bizarreries et passéisme complaisant, exaltés par un esthétisme léché ne laissant aucune chance à l'érotisme, le pittoresque glacial l'emporte sur la poésie. Par conséquent, la citation du Miroir de Tarkovski dans ce lait crémeux s'égouttant d'une table, est parfaitement déplacée. 29/11/03 
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