CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Xavier BEAUVOIS
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Des hommes et des dieux Fr. 2010 114' ; R. X. Beauvois ; Dial. X. Beauvois, Etienne Comar ; Ph. Caroline Champetier ; Son Jean-Jacques Ferran, Eric Bonnard ; Mont. Marie-Julie Maille ; Déc. Michel Barthélémy ; Cost. Marielle Robaut ; M. Tchaïkovski ; Pr. France 3 Cinéma, Why Not Productions ; Int. Lambert Wilson (Christian, le prieur), Michael Lonsdale (Luc, le médecin), Olivier Rabourdin (Christophe), Philippe Laudenbach (Célestin), Jacques Herlin (Amédée), Loïc Pichon (Jean-Pierre), Xavier Marly (Michel), Jean-Marie Frin (Paul).

    Dans les années 90, menaces sur la paisible vie quotidienne de la communauté cistercienne de Tibhirine dans l'Atlas algérien : prières communes, chants liturgiques, travail de la terre, aide aux démunis et soins aux malades, dans le respect absolu de la culture et de la religion du peuple. Car c'est la guerre civile. Les Islamistes massacrent tout ce qui contrevient à leurs vues. Les huit moines, qui refusent la protection de l'armée, envisagent la fuite. Le soir de Noël, une faction du Groupe Islamique Armé fait irruption, exigeant que frère Luc, le médecin, les accompagne avec des médicaments pour soigner deux des leurs blessés par balles. Le prieur Christian se dresse en expliquant que le vieux médecin n'est pas en état, que les médicaments sont rares et réservés à la population et que, de plus, c'est Noël. Et de citer le Coran. Le chef s'excuse et tend la main au prieur avant de repartir. Mais les moines ne se font pas d'illusions. Ils sont d'ailleurs incités par les autorités à quitter les lieux, d'autant que le chef rebelle conciliant est retrouvé mort. On vote. Tous décident de rester, au prix de leur vie : ils seront embarqués dans un fourgon et emprisonnés comme otages pour finir exécutés.     

   Qu'on me pardonne si je ne puis partager l'enthousiasme sincère des foules qui remplirent les salles obscures, ni me laisser impressionner par l'avalanche des récompenses internationales. Ce qui m'en garde c'est, dès le départ, cette sourde sommation à communier sur des images de bons sentiments. On peut approuver sans réserve le bon, un peu moins les bons sentiments, encore moins l'image de bons sentiments, et pas du tout les procédés qui en dictent le sens.

   Et tout d'abord la communauté spirituelle que commande la règle de saint Benoît est incompatible avec une forme larvée de Star-system. Car au fond, en dépit les dénégations aménagées dans le corps du récit, tout tourne principalement autour de Christian-Wilson, personnage physiquement admirable d'ascétisme compassionnel, à la claire voix de baryton, seule juste et distincte au sein du chœur, et en second lieu du moine-médecin, sous la figure attachante d'un acteur blanchi sous le harnois, qui paraît même avoir incarné cette figure toute sa vie. Par ailleurs, le rôle des moines auprès des autochtones n'est pas sans avoir des relents colonialistes. Ainsi, la proximité du couvent français protègerait mieux du terrorisme que l'armée algérienne à en croire les villageois eux-mêmes !
   Dès les premières minutes, finalisation normalisatrice : le prieur lit le Coran, les moines mettent en pot la biblique substance appelée miel, qu'ils vont ensuite modestement comme tous les paysans alentour vendre au marché. Le médecin soigne une fillette à laquelle il dispense un bisou puis conseille une jeune fille pure qui se confie sans réserve à ce quasi grand-père qui, lui aussi, a aimé autrefois. Pourquoi des filles ? Serait-ce pour mieux rassurer le spectateur sur la pureté d'intention de ces mâles reclus ?
   Les beaux paysages (travellings) sont magnifiés par le son direct mettant en valeur le silence en détachant les humbles bruits quotidiens. Prières et chants liturgiques au soir, au sein de la chapelle éclairée à la bougie dans des compositions symétriques très étudiées. L'esthétisme gratuit inspiré des maîtres anciens, avec des références au Caravage, à Mantegna et à Rembrandt, ne va cesser ensuite d'obséder tout au long les images. Il faut avoir de forts doutes sur les pouvoirs du cinéma lui-même pour ainsi convoquer tout une pinacothèque.
   Enfin,
horreur : l'égorgement des Croates qui travaillaient sur un chantier voisin, instillant en douce le poison manichéen. D'un côté le chef de la communauté catholique qui connaît le Coran et même l'arabe, de l'autre les sanglants Islamistes, voilà deux volets dont l'abrupte juxtaposition constitue le commentaire.
   Un autre procédé, si fréquent au cinéma qu'on s'y laisse prendre à tous les coups, est l'expression adéquate au champ, rejetée sur un visage en contrechamp. Un sentiment va s'y inscrire qui dispense la valeur de ce qui se produit de l'autre côté ; souvent les stigmates de la compassion qui du coup soulignent une impuissance du jeu des images en soi. Signal anthropomorphique, notamment sur les traits du prieur auquel on a annoncé la boucherie des Croates. Ou incrédulité du chef rebelle auquel frère Christian tarde un peu à serrer la main tendue.
   Car la vertu grossissante de l'image filmique dénature l'expression des sentiments en général. La moindre larme perlant fait Niagara. Au cinéma, les traits de sincérité me seront toujours grimaciers. C'est pourquoi on sort son mouchoir à la séquence du dernier repas arrosé de bon vin, au son du Lac des cygnes, (la musique fût-elle d'écran) qui prélude au fatal dénouement : travellings latéraux de plus en plus serrés pour finir en très gros plan sur les figures successives, d'abord réjouies puis, graduellement, de plus en plus graves (verres embués de frère Christian), comme soudain conscientes de la fin proche, en synchronisme avec la mort de l'oiseau chorégraphique. Scène reconnue unanimement comme la plus poignante.
   On ne me pardonnera pas, décidément... 15/04/14  Retour titres