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Fatih AKIN

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De l'autre côté (Yasamin kiyisinda/Auf der anderen Seite) VO (allemand, turc, anglais) 2007 110’ ; R., Sc. F. Akin ; Ph. Rainer Klausmann ; Mont. Andrew Bird ; M. Shantel ; Son Dai Lüde ; Pr. Corazón International ; Int. Nejat Aksu (Baki Davrak), Ali Aksu (Tuncel Kurtiz), Ayten Öztürk (Nuragul Yesilcay), Yeter Öztürk (Nursel Köse), Lotte Staub (Patrycia Ziolkowska), Suzanne Staub (Hanna Schygulla).

   On peut distinguer quatre chapitres, bien que trois seulement soient indiqués par les cartons : 1 Introduction 2. La mort de Yeter 3. La mort de Lotte 4. De l’autre côté. 

   À Brême, Nejat Aksu, Turc d’origine et professeur de littérature allemande à l’université, prend soin de son père veuf Ali, qui propose à la prostituée et compatriote Yeter de vivre avec lui moyennant le même niveau de revenu. Habitant Istambul, sa fille Ayten, vint-sept ans, croit sa mère vendeuse de chaussures. Elle milite dans un groupe de résistance. Yeter confie à Nejat souffrir de l’éloignement de sa fille, à qui elle aurait aimé pouvoir payer des études. Le jeune homme a un geste affectueux de consolation envers elle. Malgré une crise cardiaque, son père boit. Il traite Yeter en esclave. Comme elle refuse le rôle de pute privée il lui administre une claque dont elle ne se relèvera pas. L’homme violent est emprisonné.
   Rompant avec son père meurtrier Nejat gagne Istambul pour retrouver Ayten afin de lui financer des études en mémoire de sa mère. Il s’y installe, gagnant sa vie en gérant une librairie allemande. Entretemps Ayten a dissimulé sur la terrasse d’un immeuble quelconque de la ville un pistolet dérobé à la police. Mais ses complices étant arrêtés, elle prend l’avion pour Hambourg munie d'un faux passeport.
   En attendant de retrouver sa mère, elle vivote grâce au resto U où elle fait la connaissance de Lotte, étudiante en langues. Les deux jeunes femmes s’aiment. Lotte héberge Ayten chez sa mère, Suzanne qui, bien que réticente à l’égard de l’amie de sa fille, prend en charge les frais de justice afférents à la demande d’asile, finalement rejetée. Ayten est expulsée dans son pays où elle risque une peine de quinze à vingt ans.
   Lotte s’envole pour lui porter secours. Sa mère déclare que cela ne la concerne plus. À la recherche d’une location au moyen de petites annonces dans sa propre langue, elle tombe sur la librairie de Nejat, qui a justement une chambre à sous-louer. Lotte accepte. Au parloir de la prison, Ayten confie à son amie la mission de récupérer le pistolet. Elle s’exécute mais est tuée d’une balle en voulant reprendre l’arme dans son sac arraché par des gamins. L’autorité pénitentiaire propose à Ayten une remise de peine si elle coopère dans l’élucidation du meurtre, qui a des retombées diplomatiques.
   Sur les traces des derniers témoignages de sa fille disparue, Suzanne débarque chez Nejat dont l’adresse lui a été communiquée à l’ambassade. Quelque peu apaisée avec l’aide de Nejat, elle décide de prendre le relais et de venir en aide à Ayten, qu’elle visite en prison. Pleinement réconciliée avec la mère de son amie, Ayten a une raison de coopérer pour sa remise de peine. Elle est prise en charge par Suzanne à sa sortie de prison. Cette rencontre sous le signe du deuil a également amené Nejat à se réconcilier avec son père, qu’il va rejoindre dans son village de Trazbon au bord de la Mer Noire où il réside après avoir été expulsé d’Allemagne suite à la prison.

 
   Certes
le filmage n'est pas dépourvu de lourdeurs. Système de recadrage type, faisant alterner plan moyen, gros plan et plan d’ensemble à fin descriptive et narrative, qu’aggrave l’appoint souvent superflu de la musique auxiliaire. Les effets d’angle, telle la plongée forte pour le pathos, paraissent un expédient facile. Et la caméra s'essouffle à épouser les mouvements de champs. Bref, ce n’est pas économique. Tout cela laisse l’impression qu’on enfonce le clou, à l'intention d'un spectateur supposé lent d’esprit. Ce qui concorde avec une poésie indigente. Ce ne sont certes pas les paysages bucoliques à minarets des rives de la Mer Noire accompagnés à la flûte, figure de cet « autre côté » de la concorde finale, qui peuvent en tenir lieu.
   Mais le récit est admirablement construit. Son unité ne repose pas sur la cohérence du programme thématique, mais sur une force d’ubiquité qui rassemble ce que la temporalité linéaire sépare.
   Soit que les parcours se croisent en un même lieu alors qu’on pouvait les croire appartenir à des lieux et des temps différents. La voiture de Lotte et Ayten croise le tram qui transporte Nejat et Yeter sur le trajet de l’hôpital, ce qui fait se télescoper deux épisodes fort distants dans le temps de la narration.

   Soit par la coïncidence :  à Istambul,
Lotte tombe par hasard sur la librairie de Nejat, auquel elle ne livre, de plus, que le pseudonyme d’Ayten, ce qui contribue à une dissociation des liens narratifs. Ou bien, sans le connaître, Suzanne arrive à Istambul en même temps qu’Ali, expulsé d’Allemagne.
   Soit par le rebouclage. Ayten endormie dans l’amphi où Nejat dispense son cours, d’abord dans la première séquence puis avant la rencontre avec Lotte sur le campus. D’autre part, la première scène à la station-service menant à Trazbon est une anticipation de la fin, où elle est reprise exactement, à l'exception d'une légère variante qui fait de la boucle une spirale, marquant un progrès d’ordre éthique : au début, c'est un homme qui interprète le chant diffusé dans la boutique de la station ; à la fin, une femme.
   Soit encore qu’un petit détail du début ne prenne sens qu'à la fin : à Istambul Ali lisant le livre offert par son fils à Brême a les larmes aux yeux.
   Enfin, la symétrie. Le cercueil de Yeter arrive à l'aéroport d'Istambul. Plus tard c’est celui de Lotte qui fait le chemin inverse. Symétrie soulignée par le parcours en sens opposé des deux cercueils sur un tapis roulant, produisant un effet humoristique distanciateur, qui s’inscrit bien dans le jeu sur le temps.
   Jeu
en adéquation avec l’enjeu éthique qui se ramène au sacrifice d’Abraham, concrétisé par le « Joyeux Bayram ! », salutation rituelle en l'honneur du Sacrifice à la station-service, et l’afflux des hommes qui se rendent à la mosquée sous les yeux de Suzanne. À savoir, ces décès s'assimilent à des sacrifices entraînant une nouvelle cohésion dans la communauté des survivants. 
À l’ubiquité filmique répond l’union des cœurs.
   Ceci crédible à la mesure de la direction d’acteur, souvent d’une étonnante justesse, supposant un énorme travail pour oublier les tics du métier. Voyez le regard d’amour que s’adressent les deux filles.
   Au total donc, la valeur spirituelle hautement tenue au plan narratif ne trouve pas l’épanouissement poétique qu’on pouvait en espérer. Il y a néanmoins un progrès par rapport à Head-on, le film précédent, dont le remarquable scénario, en dépit de la performance de Birol Ünel (ou au contraire en raison de la surprésence de l'acteur), est appliqué sans imagination filmique. 13/03/10
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