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Ingmar BERGMAN
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Cris et chuchotements (Viskningar och rop) Suède couleur VO 1972 87' ; R., Sc. I. Bergman ; Ph. Sven Nykvist ; M. Chopin, Bach ; Pr. Svenka Filmindututet/I. Bergman ; Int. Harriet Andersson (Agnès), Ingrid Thulin (Karin), Kari Sylwan (Anna), Liv Ullmann (Maria), Erland Josephson (David le médecin), Anders Ek (le pasteur), Henning Moritzen (Joakim).


   Veillée par ses deux sœurs et la servante Anna dans le huit-clos d'un manoir de grande bourgeoisie fin de siècle, Agnès agonise. Seule Anna est capable d'apaiser ses atroces souffrances. Après sa mort dans les bras de la bonne, la propriété et les biens sont vendus. Anna remerciée.


   Récit composé d'épisodes séparés par des fondus au rouge, entrecoupés de flash-back focalisés sur chacun des personnages principaux et reconstituant partiellement le passé. Lequel est révélateur d'une maladie de famille à laquelle n'échappe guère qu'Agnès : l'incapacité d'aimer. Les vies conjugales de ses sœurs sont des catastrophes affectives et sexuelles. Karin, qui n'accepte d'être touchée par quiconque, préféra s'entailler la vulve d'un éclat de verre que de subir l'étreinte rituelle. Maria trompe son mari avec le médecin. En revanche, Agnès conserve de sa mère disparue depuis quatre ans le souvenir d'un profond geste de tendresse, pourtant inattendu chez cette femme distante et solitaire.
   Paradoxe allant profond, il résulte du vide d'amour un dégoût de la mort. La défunte ne sera plus aux yeux des s
œurs qu'un répugnant cadavre. On sent les ravages du rigorisme protestant particulier à ces milieux. En revanche Anna, qui a perdu une petite fille et pratique la même religion avec dévotion, est tout amour et continue d'assister sa maîtresse après sa mort. Le film tournant au fantastique montre la morte réconfortée par Anna après avoir réclamé en vain la consolation successive de ses sœurs épouvantées. Dans le dernier plan, Anna relit le journal où Agnès encore en bonne santé exprimait un jour son bonheur d'être simplement aux côtés de ses sœurs.
   La couleur rouge domine non seulement par les scansions du découpage mais aussi par le décor lui-même : Agnès meurt dans une chambre tendue et moquettée de rouge. Irrésistiblement le sang. Pas seulement l'hémorragie du corps malade, mais aussi la violence habitant ces êtres incomplets d'être les héritiers d'une culture ordonnée au paraître, à la domination, au mépris de l'autre pour protéger des valeurs dégradées.
   Cette violence anime les visages par un contrôle exercé sur la moindre ridule. Paradoxalement elle transparaît à travers des silences, d'infimes contractions, voire des sourires à peine contraints. Elle est insoutenable quand elle est physique. Bergman ne fait aucune concession. L'horreur qui se peint sur le visage d'Agnès évoque le paroxysme des grands martyres. Aussi, comme ces derniers, sont-ce ceux qui souffrent qui échappent à l'enfer du repli sur soi.
   Le travail des acteurs est exceptionnel. Quand, en évoquant un souvenir de sa mère, Agnès se souvient de son regard de profonde détresse, c'est exactement ce qu'on peut lire sur le visage du personnage représenté en flash-back. L'influence du théâtre (Bergman fut aussi grand metteur en scène de théâtre) est à ce titre indéniable et peut-être excessive.
   Le film reste néanmoins irremplaçable par la familiarité inégalable avec les choses de la mort dont il témoigne. Par-là il plonge au cœur du tragique fondamental sans lequel la question de l'art n'aurait pas même à se poser. 9/08/02
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