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Akira KUROSAWA
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Entre le ciel et l'enfer (Tengoku to jigohu) Jap. VO Scope N&B 1963 143' ; R. A. Kurosawa ; Sc. Hideo Oguni, Ryuzo Kikushima, A. Kurosawa, d'après Éd. McBaine ; Ph. Choichi Nakai, Takao Saito ; M. Masaru Sato ; Pr. Kurosawa/Toho Co ; Int. Toshiro Mifune (Gondo), Kyoko Kagawa (Reiko Gondo), Tatsuya Nakadai (le commissaire Tokura), Yutaka Sada (Aoko).

   Au moment où l'industriel Gondo a engagé toute sa fortune pour rafler la majorité des parts de l'entreprise où il fit carrière, on lui réclame une rançon fabuleuse contre la restitution du fils de son chauffeur, enlevé à la place du sien propre. Cela signifie pour lui la ruine et la perte de sa position. Après avoir hésité, il obtempère. L'enfant est récupéré sain et sauf et l'homme d'affaires, en gagnant la considération publique, se contentera de présider une petite entreprise, une fois le ravisseur démasqué et l'argent récupéré grâce à la diligence policière.
   La première partie est un long huis-clos assez théâtral de cinquante deux minutes dans la luxueuse villa surplombant la ville où, en présence des policiers débarqués incognito, se déroule un dilemme cornélien. Immense soulagement lorsqu'on s'avise de la substitution au petit riche, du petit pauvre. Le problème pourtant demeure. Le chauffeur et l'épouse, discrètement soutenus par les policiers essayent de convaincre Gondo de payer. Il se refuse d'abord farouchement à renoncer à sa richesse, puis s'y résout.
   La deuxième partie consacrée au versement et à l'enquête a pour décors la ville et les environs. Une imposante équipe de police est mobilisée avec des moyens impressionnants. On suit minutieusement toutes les étapes de l'élucidation à partir des indices. L'intensité du travail est suggérée par les visages en sueur en raison de la canicule. On a identifié par ses particularités sonores le tramway circulant près de la cabine téléphonique utilisée par le ravisseur. Celui-ci loge dans un faubourg populaire au pied de la colline (l'enfer) dominée par la villa. Le mobile est la vengeance du pauvre contre le nanti. Un pauvre intelligent qui imagine de se faire livrer la rançon depuis un train en marche, à travers la fenêtre des WC qui ne s'ouvre que de sept centimètres, format imposé aux paquets.

   Fidèle à la rigueur du genre polar américain, le film présente une forme de manichéisme japonisé. Le requin devient bon. "Pourquoi nous haïr ?" demande-t-il au ravisseur dans le quartier des condamnés à mort. Il est soutenu par le peuple et la police qui, dopée par le désir de le venger veut faire la nique aux nouveaux requins qui le remplacent, et conduire l'enquête de façon à charger le coupable au maximum.
   Faubourgs industriels, port, quartiers de commerce ou de divertissement, les décors naturels en extérieur imposent un contexte économique et social qui donne une épaisseur au récit, même si l'épisode des milieux de la drogue dans le genre "bas-fonds glauques" est assez complaisant. S'y ajoute un jeu avec le reflet des lunettes noires, dans la nuit, du méchant sur le point d'essayer la drogue mortelle sur une prostituée. Ce genre de décor caractérise en fait le troisième volet du film. La photographie par elle-même donne parfaitement le ton, évoquant le Fritz Lang de
M. le Maudit.
   Dans le même goût, les racines populaires de l'équipe de police réunie au commissariat se marquent au premier plan par un policier en tricot de corps, accoudé à la table et faisant saillir des biceps de prolo. Ce qui ne va pas jusqu'à récuser le capitalisme dans les délices duquel Gondo sera dûment rétabli. Au milieu des clichés du genre, il semble rester peu de place pour la poésie.
   Pourtant elle affleure parfois remarquablement. La scène de la découverte des complices morts est d'emblée scandée de stridulations d'insectes résonnant de façon insolite. Les cadavres sont perçus indirectement d'abord par le geste du premier flic sortant son mouchoir, puis par le regard des autres de l'extérieur et à travers le voile noir des rideaux remués par la brise, les corps allongés étant hors champ sous le bord inférieur. L'image de l'arrestation du criminel plus tard au même endroit est aussi réussie. Immobilisé par les flics sous une intense lumière solaire filtrée à travers les canisses, il ouvre grand la bouche pour tenter d'absorber la drogue mortelle. Ses dents blanches sont alors multipliées par le quadrillage lumineux sur la paroi de fond, comme dans la vision fugitive d'une muraille de têtes de mort.
   Quant à la musique, si elle sait la plupart du temps s'effacer devant les bruits extérieurs réalistes, elle remplit parfois un rôle de dramatisation assez lourd.
   En définitive et en dépit de certaines raideurs qui ne déparent pas trop le côté noir, Kurosawa nous surprend une fois de plus par son goût de l'aventure et par ses capacités à réussir dans des styles divers. La main du maître cependant est ici surtout bâtisseuse. Elle nous passionne par son habilité à présenter en lignes nettes une masse de données accumulées sans parcimonie, au point que la diversité des décors ne nuit nullement à l'unité du film.
   Un Kurosawa, quelle que soit sa valeur artistique, nous en apprendra toujours sur le cinéma. 13/07/01
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