CINÉMATOGRAPHE 

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Cédric KLAPISCH
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Chacun cherche son chat Fr. 1996 85' ; R., Sc. C. Klapish ; Ph. Benoît Delhomme ; M. Nocturne N°1 de Chopin et autres ; Int. Garance Clavel (Chloé), Renée Le Calm (Mme Renée), Zinedine Soualem (Djamel), Olivier Py (Michel).

   Confié pour les vacances à Mme Renée, gentille mémé du quartier Bastille-Est généreuse aux chats, Gris-gris, le chat noir de Chloé s'est échappé. Elle se met à sa recherche avec l'aide de Djamel, brave garçon un peu simplet, et du réseau des anciennes du onzième. Le bistro est un lieu de rencontre où, en s'initiant au quartier, elle croise Bel Canto, un jeune artiste peintre à lunettes, abandonné par sa femme et en instance d'expulsion. Chloé, qui se sent un peu seule dans l'appartement qu'elle partage avec Michel l'homosexuel, a une aventure sans lendemain avec un voisin plusieurs fois remarqué, personnage en définitive futile, qui empoisonne tout le quartier avec sa batterie. En même temps que son chat coincé depuis quinze jours derrière la cuisinière de
la mémé, elle finit par trouver son prince charmant en Bruno (Bel Canto).

   Joli conte qui - paradoxe que le cinéma français ferait bien de méditer - s'émancipe du réalisme ontologique en s'y plongeant grâce à des éléments réels, telle que Mme Renée. C'est quand les événements se font insolites qu'on est au plus proche de la vérité : les vieilles dames font de fausses émotions à Chloé en lui téléphonant pour lui donner des nouvelles alors qu'il n'y a rien de nouveau. Le cadre référentiel, du coup, peut prendre valeur de témoignage.
   On est aux élections présidentielles qui vont inaugurer le septennat de Chirac et le petit Paris du Faubourg Saint-Antoine est dévasté par la rénovation - chantiers, fermetures, expulsions - achevant le grand nettoyage social commencé sous Napoléon III. Le jeu de Garance Clavel, qui ressemble - ce ne peut être un hasard - à Arletty, la Garance des
Enfants du Paradis, est d'une émouvante simplicité, et Michel ne joue pas les fofolles.
   En comptant l'humour et la fantaisie on tient enfin peut-être la fameuse fraîcheur qu'on pouvait croire à jamais disparue au cinéma. Application littérale des paroles de Chloé qui se réjouit de prendre enfin une bouffée d'air après trois ans, la scène de ses vacances ne dure que le temps d'une bouffée d'air aspirée au bain de mer. Djamel est comme le chat, tombé du toit quand il était petit, il a failli récidiver et, en gros plan sonore, se lisse le poil occipital comme ses frères félins. Le groupe des petites vieilles en conciliabule s'égaye sur le trottoir à l'approche d'une indésirable.
   Le savoir-faire du cinéaste est en tout ceci essentiel. L'anecdote de la veuve gardant chez elle les cendres de son mari est anticipée par un imperceptible cadrage de l'urne en amorce dans le coin inférieur gauche. Enterrés les gros sabots du
Péril jeune ! Le plan-séquence final du bonheur de Chloé courant dans la rue en travelling latéral rapproché n'est pas beau en soi, mais en tant qu'aboutissement.
   Musique entièrement in avec une petite ambiguïté volontaire pour Chopin qui traduit si bien l'état d'âme de cette jeune fille incarnant ce qu'il y a de meilleur dans ce qu'on appelle à tort et à travers le romantisme : l'exigence d'un accomplissement authentique de soi. Sa pudique retenue physique dénonce la provocation sexuelle du star-system. La sienne quête se dessine par petites touches insensibles. Toujours à la lisière du rôle qu'on voudrait lui faire tenir, Chloé-Garance suspend tout investissement affectif avant le seul véritable. Son propre questionnement prend la forme d'un jeu symbolique naïf avec Michel, inspiré du geste par elle décliné d'une homosexuelle : admise dans le lit du colocataire parce qu'elle a le bourdon, elle prend sa main qu'elle pose sur son sein.
   Sans éluder ce qu'elle a de moche, Klapish nous rappelle ce que l'humanité a de meilleur. Ne manque qu'un poil d'audace pour nous bouleverser tout à fait. 22/08/01
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