Le Cercle (Dayereh) Iran VO
2000 89' ; R.,
Mont., Pr. J.
Panahi ; Sc. Kambozia Partovi d'apr.
id. de J. Panahi ; Ph. Bahram Badakhshani ;
Son
Mehdi Dejbodi ; Int. Narghess Mamizadeh (Narghess), Maryam Parvin Almani (Arezou), Elham Saboktakin (Elham), Fareshteh
Sadr Orafai (Pari), Fatemeh Naghavi (Nareyeh, la mère de la petite), Mojghan Faramarzi (la prostituée).
Récit des tribulations dans Téhéran de détenues soit en permission, soit
évadées, soit libérées, dont certaines portent des traces de coups au visage.
Elles sont à la merci de la police et du Bassadj, cette
milice islamiste veillant étroitement à la "bonne conduite" des femmes, dont les corps sont d'ailleurs a priori
considérés comme à disposition par une population masculine maintenue en état de sous-développement sexuel. Toute
femme non accompagnée par un homme dans la rue est considérée scandaleuse. Même le gamin du kiosque d'Abdollah, le père
de Pari, en
jetant un coup d'œil furtif autour de lui, s'inquiète de savoir si Narghess est seule avant de lui communiquer
l'adresse. Les réclusionnaires potentielles ou effectives, d'hier ou d'aujourd'hui,
se croisent parfois sans se connaître et leurs parcours se succèdent à la faveur d'une coïncidence ou d'un
motif latéral, jeu tendant à multiplier la sensation du nombre, à tout le moins à souligner une condition d'enfermement
symbolique général, qu'exprime la métaphore du cercle.
Tout commence dans une
clinique, en apparence indépendamment de la prison, mais la clinique s'y apparente avec ses guichets à judas et
ses grilles extérieures. Les femmes n'y sont pas admises sans la claustration morale du tchador. Il y a, du reste, des
guichets et des barreaux partout, même - allusion claire - dans le cinéma.
La naissance d'une fille, supposée être un garçon selon l'échographie, entraîne le rejet par
divorce de Solmaz Gholami, la mère. Sa sœur, en quête de monnaie afin d'alerter par téléphone ses oncles
dans cette épreuve vouant la parturiente à l'infamie, tombe au dehors sur un groupe de trois détenues permissionnaires occupant
une cabine téléphonique.
Arezou, Narghess et Maedeh ne parviennent pas à joindre la personne qui aurait pu les dépanner
de la somme d'argent nécessaire pour se rendre ensemble en bus à Riziliq, chez Narghess. Maedeh se fait arrêter en
tentant à cette fin de vendre dans la rue une
chaîne et une médaille en or. Moyennant un mystérieux rendez-vous, Arezou parvient à se procurer de l'argent, mais renonce
à partir avec Narghess. Laquelle préfère rater son bus pour éviter un contrôle policier. À la recherche de Pari,
codétenue évadée, elle ne découvre sa retraite que pour assister à sa fuite du
domicile familial.
Suit le cheminement de Pari sur la trace de l'ancienne détenue Elham, qui travaille à l'hôpital dont
elle a épousé un médecin ignorant de son passé carcéral de cinq années. Elle est retrouvée avec l'aide de l'ancienne codétenue Monir, guichetière
de cinéma, qui a elle-même purgé quatre ans de prison pendant lesquels son mari a pris une deuxième femme. Enceinte d'un
mari détenu, condamné à mort et exécuté après la nuit de noces accordée par l'autorité pénitentiaire, Pari espérait par
l'entremise de son amie soignante un avortement clandestin, car il faut l'autorisation du mari et à défaut du père, qui
visiblement a renié pour cette raison sa fille, qu'il déclare "morte". Mais Elham ne veut pas risquer de perdre sa position
sociale en se compromettant. En quête d'un hôtel pour la
nuit, sans espoir étant en situation irrégulière, Pari est témoin
de l'abandon d'une fillette par sa mère.
On suit celle-ci, errant désespérée dans la ville nocturne où elle est sollicitée par des hommes en voiture.
Elle se laisse enfin cueillir mais c'est par un bassadji, qui l'a piégée. Laissée seule dans l'habitacle par le milicien couru
prêter main-forte à des collègues contrôlant un automobiliste qui convoyait une prostituée, elle s'enfuit dans la nuit
sous le regard de la professionnelle.
Embarquée dans le fourgon cellulaire, cette dernière va entrer dans la ronde des taulardes. Elle
prend ce faisant le relai des fumeuses frustrées par l'interdiction de la cigarette en public, qui retient Arezou ou Pari
de chercher dans le tabac un antidote au stress. "Parfois, je mâche même le tabac" avoue Pari. "Tu as une cigarette ?"
demande à Pari Nareyeh, qui vient d'abandonner son enfant. La cigarette est l'amie de la femme poursuivie par le malheur.
La petite sœur rattrape en catastrophe Pari fuyant le foyer
pour lui remettre avec son sac un paquet de cigarettes. La prostituée d'abord rappelée à l'ordre à cet égard, finit par
oser allumer sa cigarette, stimulée par le culot d'un des passagers emmenottés, qui a convaincu
leurs gardiens de goûter aux siennes.
La voilà introduite dans une cellule collective non éclairée. Un panoramique découvre des femmes assises dans
la pénombre nocturne. On reconnaît entre deux autres méconnaissables, éclairée d'un demi-jour tombant d'une possible lucarne hors-champ, Narghess,
penchée face-caméra sur le paquet posé sur
ses genoux, contenant la chemise d'homme achetée pour le retour au pays. Un
téléphone résonne un temps avant d'être décroché par un gardien, qui répond avec déférence.
C'était le colonel. Il demandait Solmaz Golami. Nulle ne répond ici à ce nom, mais le cercle est bouclé.
Censure
Des faits ainsi dissociés permettent de disséminer à travers tout le récit les avanies
liées à la condition des femmes, afin d'offrir les éléments d'un tout à construire, accablant pour le système, tout en
déjouant la censure. Les subtilités du film
tiennent d'ailleurs largement à la présence en creux de la censure. La torture, par exemple, n'est jamais
dénoncée frontalement, mais réside
dans d'infimes indices dont les ecchymoses aux visages ne sont que l'arbre cachant la forêt. Il suffit que
Pari croise à l'hôpital un homme jeune à la démarche déjetée, qu'accentue
le décadrage. Le suicide féminin également transparaît au hasard
d'un cas simplement évoqué à l'hôpital. Ou bien le recours à la prostitution contre la pauvreté
n'est traité que par la guise de deux sodas portés par un coursier dans une
pièce reculée au sommet du bazar où
Arezou rencontre l'homme à l'argent du bus. Narghess, inconsciemment, s'en inquiétera en lui demandant si
c'était quelqu'un de la famille.
La censure politique elle-même se manifeste furtivement par un policier
confisquant une pile de journaux dans un kiosque.
En bref, par la synthèse des mères autour de Solmaz Gholami, se recompose
le récit en filigrane du calvaire d'une fillette née à tort à la place
d'un garçon, bientôt abandonnée par une mère aux
abois en raison de sa répudiation et des séjours en prison favorisés par sa situation de femme seule, dont le recours à la
prostitution, qui ne couvre pas même les besoins, reconduit à la prison (un cercle encore) :
Nareyeh abandonne sa fillette Negar, Arezou ne sait même plus si son propre enfant, dont
elle a été séparée de force, est mort ou vivant, à quoi s'ajoute Monir, que ses enfants élevés par la seconde épouse ne
reconnaissent plus à sa sortie de prison. L'enfant abandonné est de plus exposé aux dangers de la ville comme le suggère
la citation de M de Lang, un vieil homme offrant un ballon à la petite Negar, sous couvert humanitaire du vendeur de ballon
qui la recueille.
Fiction et réel
Semi-clandestin, le tournage lui-même consiste à accompagner à la steady-cam les pérégrinations
dans la grande cité, mais en plan serré, comme d'un labyrinthe dont le plan ne doit être dévoilé.
Ce sont les sons ambiants qui donnent la mesure d'un monde empli d'événements, soit, d'un hors-champ susceptible de receler
des menaces d'autant. Un hors-champ présent dès l'écran noir du générique par la naissance au son de la petite fille, puis après la
fermeture au noir
de la fin, où résonne dans la distance la course du gardien avant que ne claque une porte, celle du film.
Il y a simulacre de
continuité entre la fiction et le réel. Certaines des actrices ont même conservé leur identité civile. Ceci
ostensiblement
quand Narghess recherche Arezou dans le bazar sous son nom d'actrice, Maryam Parvin Almani. De même qu'Arezou évoquant
Fareshteh, du nom de l'actrice, précise qu'"on l'appelle Pari" (nom du rôle), tandis qu'à la question, de Monir "quelle
Elham ?", Paris répond "Elham Saboktakin", du nom de l'actrice encore.
Après le
générique il y a mise en place de l'image par incrustation du guichet sur un écran blanc. Guichet s'ouvrant sur
l'infirmière qui appelle la famille, surgie en quelque sorte du hors-champ. Le
cadre surcadré d'un guichet s'identifie même au cadre de l'écran. Inversement,
ce qui est censé être le réel est présenté comme soumis à la fiction dès lors qu'il est chargé d'illustrer la figure
du cercle par panoramiques d'accompagnement sur décors curvilignes, éventuellement associés à des
barreaux.
Autant de ressorts
exhibés, qui s'avèrent plus crédibles que la censure naturaliste du procédé. Pour y croire sans se laisser bercer par l'illusion
de vérité des images, le mieux est d'avoir conscience que la vérité relève de subterfuges langagiers, pas d'une supposée
adéquation de l'image à son objet, pas de la représentation.
Cet exercice va jusqu'à faire de Solmaz Gholami un personnage mythique, jamais visible à l'image et, avec un effet
humoristique, réclamée au téléphone par le colonel comme une pensionnaire de marque. Ce genre d'effet donne le ton de
dérision qui évite de tomber dans le pathos stérile. Il ne s'agit pas de dénoncer par des arguties, mais en stimulant
les méninges.
Ressources positives
Des ressources positives émergent à cet égard, à l'encontre du noir tableau qui n'engendrerait qu'impuissante
indignation. Tous les flics ne se confondent pas avec leur
sinistre fonction. Pari est interloquée de la gentillesse de celui qui lui demande de téléphoner pour elle. Surtout qu'appelant
une femme en secret, non sans avoir prié son coéquipier de s'assurer qu'une patrouille n'arrivait pas, le policier, arroseur arrosé, se cache comme elle
de la police. Lequel coéquipier fait preuve d'empathie quand elle est prise de nausée.
Terminât-elle
dans une geôle, Narghess, la cadette (18 ans) de la série, pas jolie mais rayonnante, est pleine de vitalité
affective. Elle ose, innocemment, par champ-contrechamp, échanger dans la rue un signe de connivence avec
un homme portant une chemise de cérémonie de mariage à surpiqûres. Une identique est achetée plus tard à l'intention de
quelque proche Riziliquin (frère ou promis), essayée dans la boutique
sur un militaire que la jeune femme a visiblement plaisir à regarder, lui
aussi, attitude strictement interdite aux femmes.
Le récit distingue aussi la jeune femme comme promesse d'un avenir meilleur, en l'associant à cette forme de liberté que sont
la musique et à la peinture.
L'attention de Narghess se concentre sur un
groupe de trois musiciens dont
un chanteur, parcourant la rue de front tout en jouant. Elle ne peut décrire le site de Riziliq à Arezou, avec qui elle espère en partager
la beauté, qu'à
partir d'une reproduction de Van Gogh, qu'elle semble prendre pour le paysage
authentique.
La prostituée enfin a ses propres beaux rêves. Le pourvoyeur de cigarettes dans le
panier à salade y installe par son chant, à la demande d'un codétenu qui se sent triste, un
moment précaire de concorde, gardiens et gardés confondus, qu'elle goûte avec la cigarette conquise de haute
lutte, dans un long plan serré de profil.
Conclusion
Il ne faut donc pas s'obnubiler au genre reportage, adopté en raison des contraintes combinées de la
censure et du budget réduit. Ce sont bien les ressources de l'artifice fictionnel qui font la force critique du film.
25/04/25
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