CINÉMATOGRAPHE 

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Raoul WALSH
Liste auteurs

Les Faubourgs de New York (The Bowery) USA  1933 90'  ; R. R. Walsh ; Sc. Howard Esterbrook et James Gleason, d'apr. le roman de Michael L. Simmons et Bessie Roth Solomo ; Ph. Barney McGil ; M. Alfred Newmann ; Pr. 20th Century Pictures ; Int. Wallace Beery (Chuck Connors), George Raft (Steve Brodie), Jackie Cooper (Swipes), Fay Wray (Lucy Calhoun). 

   Le pittoresque Bowery fin de siècle où les poings, l'alcool et le sexe vénal font la loi. Chuck Connors et Steve Brodie s'en disputent la vedette, notamment en animant chacun une brigade de pompiers volontaires. Trogne et verbe populaires, le massif patron de saloon, Chuck, est un brave type qui a recueilli l'orphelin Swipes puis la jeune Lucy, la sauvant des convoitises des proxénètes. L'élégant danseur Steve vit des gains au jeu. Il tombe amoureux de Lucy qui le lui rend, à l'insu de son hôte. Fessé car hostile à Lucy, Swipes quitte le domicile. Il est recueilli par Steve. Celui-ci et Chuck se détestent en apparence car, "ils désirent les mêmes choses". Mais derrière les manifestations de haine se cache le contraire, comme le souligne le leitmotiv musical d'accompagnement "Auld Lang Syne" ("Ce n'est qu'un au revoir"), célébrant l'amitié. Amitié virile dont l'expression la meilleure serait le pugilat. Steve a gagné le saloon de Chuck en pariant qu'il sauterait du pont de Brooklyn avec l'intention d'user du subterfuge d'un mannequin. Mais il le fait vraiment, le mannequin ayant été dérobé au dernier moment. Chuck, ruiné et délaissé, s'engage dans l'armée en guerre contre l'Espagne. Entretemps, Swipes est rentré au bercail pour ne pas abandonner son vieux Chuck en déconfiture. Steve règne maintenant sur le Bowery. Mais des adversaires de celui-ci font croire à Chuck qu'on a fait sauter le mannequin à la place de Steve. Le différend se règle aux poings sur une barge du port. Sorti vainqueur, Chuck est arrêté pour tentative de meurtre. Traîné à l'hôpital pour la confrontation, il est innocenté par Steve, qu'il convainc de s'engager avec lui en l'honneur de leur mémorable pugilat sur la barge. Après les adieux à Lucy, dont Chuck reconnaît l'appartenance légitime à l'autre, les deux frères ennemis
défilant avant de gagner la zone de combat suivent la cantine du régiment au fond de laquelle s'est glissé Swipes.       

  Le genre de comédie dont raffolerait Trump, lui qui danse en tricotant des poings exactement comme Chuck lorsque,
les jambes en flexion, il se met en garde poings devant. Il faut mettre en relation ce comportement avec l'exclusion de la présence des femmes au barbecue annuel des pompiers. Rien de plus important que la force brutale, et donc rien de plus drôle que l'air idiot de l'individu - homme ou femme - assommé. Les scènes de bagarre font évidemment l'objet d'un soin de filmage tout particulier.
  Ce monde d'hommes, les vrais, ne connaît que deux sortes de femmes : ladies et putains. Chuck admet tout de suite Lucy appartenir à la première catégorie parce qu'elle décline son offre d'alcool. Quant à Steve, il se trompe sur le sens des mots quand elle déclare "travailler pour Chuck", mais quand il réalise la méprise (violons), s'excuse, au motif, dit-il, que "l'on a du mal à vous distinguer parfois." C'est pourquoi certains préfèrent s'abstenir. C'est le gamin qui tient lieu d'épouse si l'on en croit le pathos des violons avec harpe commentant le touchant réveil de Swipes sous le regard attendri du maître des lieux. Non sans quelque réminiscence du Kid de Chaplin. Très clairement en tout cas, la scène où Chuck donne à sa pupille des leçons de manières de table dont il se dévoile lui-même ignorant. Sauf que le burlesque chaplinien échappait à l'idéologie patriarcale en pulvérisant les catégories cognitives.

   Tournée principalement dans des décors de studio, l'intrigue, avec quelque bonheur, se dote de consistance réalistique en référant la peinture fin de siècle d'un célèbre faubourg newyorkais à des faits attestés historiquement. Notamment l'action de l'activiste antialcoolique Carrie Nation, et vers 1900 le saccage par sa troupe de femmes, du Suicide Hall, saloon notoirement débauché, concurrent dans la fiction de celui, plus vertueux, de Chuck. Il est question aussi du music-hall Tony Pastor, attesté dans la chronique du temps, et Swipes en tant que farceur des rues se présente par malice comme étant Buster Brown, le personnage de bande dessinée célèbre à partir de 1902. Cela sur fond de grande histoire avec l'épisode de l'incendie à La Havane du cuirassé Maine, qui déclencha la guerre hispano-américaine en 1898, même si la conjonction calendaire reste quelque peu approximative. En tout cas, massivement, ce turbulent divertissement n'est pas dépourvu de finesse, pas seulement la verve du dialogue, mais une certaine sensibilité filmique. Par exemple, Chuck cherche Lucy que Wipes a enfermée. En plan américain-fixe dos, il observe la pièce à côté. Panoramique gauche-droite découvrant en même temps que le chapeau et le manteau de la jeune femme posés sur un meuble une statue féminine à l'arrière-plan. Au bout d'un mouvement de caméra énigmatique comme balayage non linéaire, c'est la présence de l'inanimé qui dramatise l'absence de l'animé.  15/01/23 Retour titre