CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


sommaire contact auteur titre année nationalité




Michelangelo ANTONIONI
liste auteurs

Blow-up GB VO couleur 1967 111' ; R. M. Antonioni ; Sc. M. Antonioni, Tonino Guerra ; Ph. Carlo Di Palma ; M. Herbert Hancock ; Pr. Carlo Ponti/MGM ; Int. David Hemmings (Thomas), Vanessa Redgrave (Jane), Sarah Miles (Patricia), Peter Bowles (Ron), Jane Birkin (un modèle).

   En vue de la confection d'un album, un photographe londonien en vogue se fait chasseur d'images en des lieux variés, depuis l'asile de nuit jusqu'au parc, où il photographie un couple d'amoureux. Prête à tout pour récupérer les négatifs y compris à s'offrir, la femme le poursuit jusque dans son atelier. Il lui remet un rouleau quelconque et développant le bon y découvre un revolver braqué émergeant des fourrés puis un cadavre. En pleine nuit il va constater sur place la présence du corps mais, pris de panique, regagne son domicile, où photos et négatifs ont été volés. De retour au parc il constate la disparition du mort. Un couple débarqué d'une jeep bondée de mimes simule une partie de tennis sur le court. Thomas ramasse une balle fictive égarée par-delà le grillage et la renvoie.

   Magistrale démonstration de ce que le véritable mystère n'est pas dans la mise en scène du mystère, de même que la poésie ne réside pas dans le thème poétique. L'énigme policière est réduite ici à la fonction de signal, elle se borne à mettre le spectateur dans l'état d'esprit du travail d'élucidation.
   Mais la véritable énigme est à un tout autre niveau, quasi-métaphysique. C'est celle de la nature de la réalité. La vie factice de Thomas, ce citadin roulant Rolls, levant filles à la pelle, débouche sur une réalité forte : l'érotisme de la fiction à s'adresser à la la chair même 
du spectateur, renverse la première apparence de futilité. Ce renversement va jusqu'à affecter le code des valeurs auquel se réfère en général le cinéma. L'inconnue ne s'offre pas en fait pour récupérer ses négatifs puisqu'elle croit les avoir déjà au moment où elle se dénude.
   Les règles du genre supposant l'impitoyable système donnant-donnant sont brouillées par l'érotisme qui continue de s'objectiver en travaillant la libido du spectateur. Les deux jolies filles qui se risquaient chez le photographe dans l'espoir d'un travail, finalement se retrouvent dans une partie à trois sans avoir travaillé. L'érotisme est bien plus une figure du réel que ne le serait un quelconque décalque réaliste de la vie économique et sociale, parce qu'il insiste comme le réel et répond à sa logique aléatoire.
   Un autre renversement remet en question les codes de lecture exactement dans le même sens. Il s'agit du rapport photo/réalité. De recadrages en agrandissements, en partant des indices reposant sur les attitudes et les expressions des "amoureux", c'est sur les photos que s'effectue l'enquête policière de Thomas qui est ensuite confirmée sur place. Mais le lieu réel apparaît moins sûr, du fait que, dès la preuve soustraite, tout redevient comme devant. La façon dont est filmé le regard de Thomas devant le parc désert cadré en grand ensemble sans musique auxiliaire puis recadré de telle sorte que le souffle du vent ne soit pas dissocié du mouvement des feuillages, suggère la puissance d'une présence invisible. Cet invisible est concrétisé dans la pantomime de la fin. En revanche la photo et les négatifs, même disparus, restent indissociables de la preuve. Du reste, est retrouvée derrière un meuble la photo du cadavre.
   En définitive, fabuleux paradoxe, la nature filmée paraît d'autant plus réelle que le film s'est ingénié à la rendre impalpable, et l'on se prend à jouir pleinement de la lumière, des couleurs et du silence rompu par les seuls sons naturels. L'impression de réalité passe donc par la poésie comme on a pu souvent le constater au cinéma.
Blow-up n'a d'ailleurs pas une ride. 19/08/04 
Retour titres