Sean BAKER
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Anora USA VO couleur 2024 138' ; R., Sc., Mont. S. Baker ; Ph. Drew Daniels ; M. Matthew Hearon-Smith ; Prod. Cre Film, Film Nation Entertanment, Neon, Le Pacte ; Int. Mickey Madison (Anora Mikheeva), Mark Eidelstein (Ivan Zakharov), Iouri Borissov (Igor), Karren Karagulian (Toros), Vache Tovmassian (Garnyck), Ivy Wolk (Crystal), Luna Sophia Miranda (Lulu), Alexeï Serebriakov (Nikolai Zakharov), Daria Ekemassova (Galina Zakharov)
Louée comme escort par Ivan, fils prodigue d'un oligarque russe menant une vie dissolue au fond d'un véritable petit palais newyorkais, la danseuse érotique Anora accepte au débotté de l'épouser à Las Vegas. Les parents alertés par Toros, le parrain du jeune écervelé chargé de sa surveillance, accourent en jet privé de Moscou. Alors que Toros se hâte en voiture vers le domicile des jeunes mariés, ses deux hommes de main, Garnyk et Igor, sont chargés de les retenir en vue d'une procédure d'annulation. Mais Ivan s'est échappé et la frêle Anora donne du fil à retordre aux deux musclés. Garnyk a le nez cassé, Igor est mordu au cou. Davantage, ce dernier essuie des chapelets d'insultes dégradantes, qui se poursuivront jusqu'à la fin, alors qu'il est le seul à respecter celle que tout le monde traite de pute. Toros débarquant arrache le diamant cinq carats des doigts de la récalcitrante, puis quand elle est calmée, lui propose une indemnité de dix-mille dollars contre son consentement à la révocation. Elle semble accepter pour gagner du temps. Tous les quatre en voiture courent les divers clubs nocturnes de Brooklyn avant de trouver le fugitif ivre-mort dans les bras d'une strip-teaseuse concurrente d'Anora. Il n'est pas en état d'écouter les exhortations de la jeune mariée à résister, mais une fois dégrisé se révélera soumis à la volonté des parents.
Cependant au tribunal le lendemain matin, on apprend que seul un juge de l'État du mariage est compétent pour l'annulation immédiate. Les parents atterris réembarquent toute la troupe direction Las Vegas où, après une joute verbale impitoyable entre la mère et la bru, celle-ci, vaincue par la démonstration du pouvoir redoutable que confère la supériorité économique, cède, et consent à signer l'acte d'annulation. Soudain Igor se lève et fait remarquer qu'Ivan devrait s'excuser, ce qui se heurte à une fin de non-recevoir absolue.
Il est chargé de ramener la jeune divorcée à New York en avion low-cost puis chez elle avec ses biens dans sa vielle bagnole après une dernière nuit passée en tout bien tout honneur dans l'hôtel particulier, suivie d'un passage à la banque pour les dix-mille dollars. Mais au dernier moment il lui tend la bague qu'il a subtilisée à Toros. Dans la voiture, moteur tournant à l'arrêt, lui au volant, elle prend l'initiative d'un coït en l'enfourchant. Il reste d'abord passif, puis lui saisit la tête entre ses mains pour un face à face. En sanglots, elle se réfugie dans ses bras.
Excellent scénario pour un film inégal, valant surtout pour les dernières minutes d'un dénouement salvateur sur un mode véritablement filmique. Il s'agit de la scène de la voiture, l'antique Mercedes diesel de la grand-mère, dont le martellement ferrugineux du ralenti moteur se mêle au chuintement des essuie-glace sous la neige. Igor est la figure type du mari protecteur sous l'égide d'une grand-mère dont les médicaments qui soulagent Garnyk sont refusés à Anora au titre de modération domestique. Il en résulte une sensation de silence ouaté induisant la durée pure d'une temporalité suspensive. Tout un monde intime contrastant avec le SUV Cadillac de Toros dans lequel Garnyk a vomi. De même que le modeste quartier d'Anora caractérisé par le métro aérien, topos filmique de l'habitat populaire newyorkais, s'oppose au "palais" oligarchique et au bruyant spectaculaire brooklynnien, tout en imposant la concentration de l'objectif sur un petit habitacle, jusqu'au plan fixe !
Ainsi nous sont enfin épargnées les allers et venues d'une caméra hystérique. Cette avidité oculaire est le symptôme d'une impuissance à concevoir le langage qui permette de transformer des phrases de scénario en une chaîne d'images sonores. Un procédé du reste antinomique à l'humour et au comique. Lequel eût pu faire le sel du drame à condition que soient brouillées les frontières de genre. Ce qui est impossible avec un cadrage purement démonstratif, réduit la plupart du temps au fouaillement fiévreux et vain d'un reportage éperdu. Ici nous devons nous contenter de scènes filmées, dont le comique éventuel se limite à un effet de scénario. Comique qui tend de plus à la farce de bas-étage reposant sur le jeu sautillant des acteurs, dont un Garnyk aux mimiques de bouffon de service. Une farce donc ne devant rien au langage cinématographique lui-même, aux jeux de cadre, aux rapports entre plans et entre son et image. Le montage se borne à maintenir le spectateur en éveil en excitant ses sens de toutes les manières : éclats de lumières dans la nuit, bruits et rythmes heurtés de musique choc, drogue et sexe, exacerbés comme sous narcotique par l'irréalisme de conte de fées d'un environnement d'un luxe insensé. Que de prestations sexuelles, sous le prétexte affiché de naturalisme, celui du couple enragé, celui des décors professionnels du marché de l'érotisme. Vivaldi : "si un violon suffit, ne pas en employer deux." 15/03/25 Retour titres Sommaire