CINÉMATOGRAPHE 

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Catherine BREILLAT
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Anatomie de l'enfer Fr.-Port. 2003 77' ; R., Sc. C. Breillat, d'après son roman Pornocrate (Denoël) ; Ph. Yorgos Arvantis ; Pr. Flach Film/CB Films ; Int. la fille (Amira Casar), l'homme (Rocco Siffredi), la doublure de la fille (Pauline Hunt), voix off (C. Breillat).

   S'étant tailladé le poignet dans les toilettes d'une boîte gay, une jeune femme est secourue par un client auparavant frôlé dans le public. Elle lui propose un marché. Contre rétribution, la regarder "par où elle n'est pas regardable". Durant quatre nuits dans une villa isolée au bord de la mer il va découvrir et investir de la main d'abord puis du sexe un terrifiant paysage inconnu : celui du sexe de la femme. Terrifiant par la représentation méphitique qui le frappe d'infamie. Peut-être le regard "pur" de l'homme adonné aux hommes pourra-t-il délivrer la vulve velue de cette malédiction ? Point. Sa mission accomplie, billets en poche, il se confie amer, comme un vulgaire hétéro, à un prolo dans un bar, abandonne là son salaire puis retourne à la villa précipiter dans la mer celle qui a osé dénier la réalité de peurs plus profondes qu'il n'y paraît.

   Que cette inquiétude persistante sur la femme et son statut dans une société qui reste, malgré tout, fondamentalement phallocratique soit légitime, on ne saurait en douter, nonobstant quelque correctif sur lequel on reviendra en conclusion. Mais il est question ici de la façon dont le cinéma est investi. Il y aurait deux façons possibles : 1. Le cinéma engagé, celui qui soutient explicitement une cause par un récit exemplaire (Costa Gavras, Ken Loach ou Robert Guédiguian). 2. Le cinéma artistique, qui ne saurait, lui, se réduire à la production d'un message, nécessairement tributaire des débats dans l'air du temps, mais dont l'impact émotionnel entraîne un questionnement dont les germes intrafilmiques restent indiscernables (voir par exemple Bresson, ci-après).
   Breillat voudrait bien échapper au piège du premier, la représentation naturaliste, mais la seconde chance lui reste barrée. Si bien qu'elle se tourne vers le discours engagé tout en espérant pouvoir le dépasser par la sublimation esthétique. Mais de caractère extrinsèque : par la littérature et par la peinture ou du moins ses réminiscences. On a donc du beau verbe parfois dogmatisé par la voix off de l'auteur et des cadrages connotés Goya ou autres.
   Il en résulte que la crudité obscène constituant le risque majeur consenti n'est relayée par nul matériau apte à déplacer le trauma pour le rendre assimilable à un quelconque enjeu éthique. On reste donc sous le coup d'une sidération qui interdit tout questionnement.
   Qu'il me soit permis en guise de conclusion d'intervenir quelque peu dans le débat.
Il appert que l'auteur isole - au sens presque chimique du terme - le sexe, sur l'un des deux modes possibles, relevant de la peur et de la culpabilté, l'autre étant celui de la banalisation pornographique, laquelle n'est d'ailleurs pas totalement exclue à considérer ce qui fait la notoriété de Rocco Siffredi. Régressive, cette dissociation de l'organe conduisant le plus souvent à la censure politique et à la répression hérite de toute une tradition dont la dernière étape, celle susceptible de déterminer nos comportements, est celle de la petite bourgeoisie des villes européennes des 19e et 20
e siècle.
   La mentalité petite-bourgeoise découle de l'ignorance. Le sexe en soi, celui de la terreur et de la pornographie, serait le produit direct de l'impossibilité de penser la sexualité comme forme spécifique de la vitalité de l'espèce. Alors que l'Antiquité avait su l'inscrire dans l'ordre du sacré, le christianisme l'en a banni, et la frange la plus démunie de la population à cet égard, celle qui a perdu tout contact avec la nature et ne dispose pas des outils pour se penser comme part de la nature, l'ayant pris à la lettre, a diabolisé le sexe. Un Sade représentait l'autre extrême d'un savoir visionnaire, générant une utopie fondée sur le renversement de l'ordre hiérarchique corps somatique/corps génésique (voir La Philosophie dans le boudoir, "Français, encore un effort si vous voulez être républicains").
   Le point névralgique de la question est qu'il y a, d'une part, dichotomie : on ne peut penser le sexe comme est pensé le reste du corps et, d'autre part, inscription de l'enjeu colossal de la survie de l'espèce dans celui de la relation amoureuse. Or la médecine, dont l'objet est la biologie fonctionnelle, marginalise (dénie) le corps sexué
. Et la psychologie pense l'amour en termes d'individus psycho-sociaux. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas sous-estimer la part du mystère, auquel il convient de trouver une réponse non réductrice.
   Il se pourrait bien que la meilleure réponse jusqu'à ce jour reste celle apportée par le sacré. La sexualité est radicalement, par essence, séparée. Elle relève d'une catégorie à part, qui ne doit rien à l'empirisme médical.
   Exposer son organe femelle à un mâle homosexuel, acteur hétéro bien monté, ne peut qu'aggraver le malentendu ! Il y a quelque chose de pervers, de l'ordre du sexe expérimental, dans cettre rencontre. L'horreur, si elle peut être surmontée, en tout cas en matière d'érotisme, ce n'est sans doute que par l'amour, en tant qu'il ne dissocie pas le sexe de la plénitude de l'être.
   Sans compter que la représentation petite-bourgeoise qui semble inspirer le questionnement de Catherine Breillat a tout de même, tant soit peu, commencé à bouger. 11/01/09
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